Un Paradis Trompeur

Un Paradis Trompeur, Henning Mankell

Présentation

Le froid et la misère ont marqué l’enfance de Hanna Renström dans un hameau au nord de la Suède. En avril 1904, à l’âge de dix-huit ans, elle s’embarque sur un vapeur en partance pour l’Australie dans l’espoir d’une vie meilleure. Pourtant aucune de ses attentes ? ou de ses craintes ? ne la prépare à son destin. Deux fois mariée brièvement, deux fois veuve, elle se retrouve à la tête d’une grosse fortune et d’un bordel au Mozambique, dans l’Afrique orientale portugaise. Elle se sent seule en tant que femme au sein d’une société coloniale régie par la suprématie machiste des Blancs, seule de par la couleur de sa peau parmi les prostitués noires, seule face à la ségrégation, au racisme, à la haine, et à la peur de l’autre qui habite les Blancs comme les Noirs, et qui définit tout rapport humain. Ce paradis loin de son village natal n’est-il qu’un monde de ténèbres ?

13/20

Chronicle

C’est toujours compliqué de lire un livre où l’histoire se déroule pendant la période coloniale, d’autant plus quand on se trouve du côté des colonisés.

Je savais que cette lecture n’allait pas forcément me plaire. Avant même de commencer, j’avais déjà trouvé le résumé un peu problématique :

« Elle se sent seule en tant que femme au sein d’une société coloniale régie par la suprématie machiste des Blancs, seule de par la couleur de sa peau parmi les prostitués noires, seule face à la ségrégation, au racisme, à la haine, et à la peur de l’autre qui habite les Blancs comme les Noirs. »

Machiste ? Il est certain que nos sociétés sont machistes mais à cette époque, hommes blancs comme femmes blanches étaient racistes, cruels et suprémacistes donc ça n’apporte rien. J’ai l’impression que l’auteur s’appuie sur le fait que l’héroïne soit une femme pour attirer notre sympathie. Femme oui, mais colon quand même donc je n’ai pas ressenti d’empathie pour elle quoi qu’il arrive. De plus, on insiste beaucoup sur le fait qu’elle soit seule et effectivement, c’est triste. Mais n’oublions pas qui sont les véritables victimes dans cette histoire. Elle n’en fait pas partie.
Je craignais aussi que les noirs soient essentialisés dans le texte et que l’auteur exotise les corps des prostitués mais ça n’a pas du tout été le cas. J’ai malheureusement lu tellement d’auteurs blancs faire ça avec leurs personnages non blancs que j’ai presque tout de suite cet a priori quand je m’engage dans ce genre de lecture, c’est vous dire. Je m’excuse d’avoir pris Henning Mankell pour ces auteurs de pacotille.

Enfin, ça, ce n’est que pour le résumé. Rentrons maintenant dans l’histoire.
Pour commencer, dès le prologue, ça parle de l’Afrique comme d’un pays. Comment exprimer à quel point ça m’exaspère ? Donc, pour la millième fois, aussi incroyable que cela puisse paraître, l’Afrique est un continent (eh oui) composé (surprise) de 54 pays aussi différents, riches et variés les uns que les autres.

Malgré cela, j’ai bien aimé le fait que les chapitres soient courts. Ça apporte un vrai rythme au récit ce qui fait que ça se lit très vite. Ça m’a permis de rester concentrée sur l’histoire et de lire sans décrocher.

En revanche, certains personnages ont mis mes nerfs à rude épreuve. Racistes, méchants et si abominables qu’on a juste envie d’arrêter. Je pense à Jukka, Pedro Pimenta, Andrade, et surtout à Ana Dolores, une espèce de nonne infirmière qui en plus de haïr les noirs, maltraite les animaux. C’est le genre de personnages qui ne devrait même pas exister tellement ils sont détestables, ça enlève vraiment tout goût de la lecture. Le seul que j’ai apprécié, c’est Lundmark, mais évidemment,

voir le spoil il meurt dès le début.

Autres choses qui m’ont fait grincer des dents sont les mûlat***se , nèg*** et autres qualificatifs racistes pour désigner les noirs. Je conçois parfaitement que l’auteur a voulu rendre la violence des propos de cette époque et restituer le cadre historique afin de donner un côté réel et authentique à l’histoire. Mais, encore une fois, l’auteur est BLANC ! Même dans le cadre d’une fiction, on n’a pas le droit d’énoncer ses insultes. Pour ma part, je ne supporterais pas qu’un auteur blanc écrive un roman sur l’Afrique du Nord coloniale et ose appeler mes semblables des bougn**** entre autres insultes, même si c’est pour « faire vrai ». Je suis désolée mais ça me dérange beaucoup trop. Je ne peux pas accepter ça.
Ajoutons également les comparaisons affligeantes d’une femme noire à un chimpanzé ou d’un docile serviteur noir à un chien fidèle. Ah là là, heureusement que nous ne sommes pas nés à cette époque hein, perso j’aurais pas tenu un jour, on m’aurait tabassé direct.

Pour revenir à Hanna, elle m’a été tout à fait antipathique. Je n’ai pas vraiment ressenti de compassion envers elle ni même de proximité. En fait, ce qui m’a agacé, c’est surtout sa naïveté. L’auteur a crée un personnage qui n’est pas au courant de ce qu’est la colonisation et l’esclavage à l’aube du XXe siècle. Ok, Hanna est jeune et n’a connu que la vie en Suède, mais il n’y a pas besoin d’être un génie pour comprendre la réalité des rapports entre noirs et blancs. Je n’ai pas aimé sa crédulité notamment lorsque ses pairs maltraitaient des noirs par exemple, et qu’elle n’avait aucune réaction. On dirait qu’elle n’arrivait pas à comprendre alors qu’il n’y a rien à comprendre, c’est juste de la violence, bête et méchante. Le plus drôle reste le moment où :

« Elle ne supporta plus de voir ces hommes maltraités et leurs tortionnaires »

Oui, oui bien sûr, c’est pas comme si dix pages plus tôt, tu avais frappé la pauvre servante qui t’avais sauvé la vie au début, parce qu’elle a trébuché et fait tomber ton thé. C’était trop ironique, je me demande même si l’auteur a fait exprès.

Et en parlant d’ironie, une autre scène dans la partie III du livre m’a laissé sur le même sentiment et plus particulièrement cette phrase :

« Est-ce que c’est cela que je ressens ? Toute cette haine dirigée vers nous autres, les Blancs ? »

Hahaha mais quelle horreur. Tenancière du plus grand bordel d’Afrique australe et richissime grâce à l’argent qu’elle se fait sur le dos de ses prostituées noires (qui ne couchent qu’avec des colons) mais c’est elle qui souffre de la haine. Aw pauvre petite créature, est-ce que je dois aussi chialer ou c’est comment ? Le pire, c’est que je ne saurais pas dire si l’auteur ironise dans le but de rendre Hanna ridicule ou s’il est vraiment sérieux dans le sens où il veut nous signifier qu’il y avait de la souffrance dans chaque “camp“. Eh bien, nooooon !

Par conséquent, je suis arrivée à un moment où j’avais juste envie d’arrêter ma lecture. Le sujet que traite le livre m’était trop déplaisant. Naturellement, le racisme et la colonisation, ce ne sont pas des sujets festifs, je savais dans quoi je m’embarquais quand j’ai pris ce bouquin (il était dans la liste infernal de mes envies ! Cette liste n’a vraiment aucun sens, putain !), mais l’histoire en elle-même ne m’avait pas captivé non plus.

Jusqu’à la partie III. Car là, ça commence. Je lisais sans discontinuer et j’éprouvais une réelle curiosité pour la suite. Du coup, j’ai vraiment fini par apprécier ce que je lisais.

C’était très intéressant d’observer l’évolution d’Hanna. L’Afrique a fait d’une pauvre paysanne suédoise une femme riche et influente à la tête du bordel le plus lucratif du Mozambique portugais. En revanche, on voit vers la fin qu’Hanna se détache de ses préjugés racistes et j’ai trouvé que c’était trop rapide. De même, quand elle décide subitement de lier son avenir à celui d’Isabel, je n’ai pas trouvé cela naturel. Ça n’avait pas de sens pour moi. Elle et Isabel n’étaient pas proches donc le fait qu’elle se sacrifie comme ça, d’un coup, alors qu’elle était plutôt passive tout au long de l’histoire m’a paru dissonant. Je rajoute également que je n’ai pas su saisir si ses sentiments (son obsession ?) pour Moses vers la fin relevaient du véritable amour ou du fétichisme. Beaucoup trop rapide. On ne peut pas tomber brusquement amoureuse d’une personne noire quand on vient tout juste de se libérer de sa négrophobie. Je trouve ça bizarre.

N’empêche, j’ai bien aimé la touche de magie et de mystère à la fin. C’était jolie et ça concluait bien cette incroyable aventure qu’Hanna a vécu, un peu malgré elle. Eh bien, si elle est restée en terre d’Afrique, espérons qu’elle et Moses se sont trouvés un vrai petit coin de paradis cette fois-ci, pour vivre heureux loin des mensonges et de la haine des hommes.


Les extraits que j’ai choisis

Une fleur de jacaranda tomba lentement, légère comme une plume. Ce silence inquiétait Hanna. Elle ne s’attendait pas à ce que quiconque prenne la parole, mais ce n’était pas le silence habituel entre Noirs et Blancs, il avait une signification qu’elle ne comprenait pas.
D’un geste, elle indiqua qu’elle avait fini. Les femmes prirent leurs chaises et disparurent, Judas entreprit de balayer la cour, mais elle le chassa lui aussi de la main. Zé retourna à son piano, Carlos à moitié endormi dans ses bras.
Soudain, Hanna comprit le sens de ce silence. Personne ne voulait de cette proximité qu’elle proposait. Ce silence était plein d’une réticence invisible. En même temps, ne comprenaient-elles pas qu’en tant que femme, elle serait vraiment proche d’elles ? Qu’elle avait parlé vrai, au milieu de ce monde d’hypocrisie et de mensonges.
Elle sortit son carnet et écrivit, d’une main hésitante, comme si elle doutait de sa capacité à traduire ses propres pensées : « Celui qui vole à autrui sa liberté ne peut jamais s’attendre à être proche de lui. »  

Hanna dirigea sa longue-vue sur les flammes. La lueur du jour était encore faible, mais elle devina qu’il ne s’agissait pas d’un incendie ordinaire. Des Noirs couraient partout avec des gourdins et des piques. Ils jetaient des pierres et des fagots enflammés sur les soldats de la garnison portugaise qui s’étaient rassemblés. Hanna aperçut des corps gisant dans la rue. Impossible de savoir si c’étaient des Noirs ou des Blancs.
Elle baissa sa longue-vue et essaya de comprendre ce qui se passait. Puis elle tira la sonnette, bien fort, pour qu’il soit bien clair qu’on devait venir sur-le-champ, même si tous les domestiques, sauf Anaka, dormaient sûrement encore.
Julietta se présenta, à moitié habillée, les cheveux en désordre. Mais elle semblait tout à fait réveillée. Les autres domestiques avaient sans doute déjà remarqué les troubles en ville et laissé la plus jeune répondre à la sonnette.
Hanna entraîna Julietta sur la véranda.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle ?
— Les gens sont en colère.
— Qui est en colère ?
— Nous sommes en colère.
En disant ces derniers mots, Julietta fit quelque chose dont elle n’avait pas l’habitude : elle regarda Hanna droit dans les yeux. Comme piquée au vif, pensa Hanna. Ce qui se passe dans la rue me concerne aussi.
— Et pourquoi êtes-vous en colère ? demanda Hanna. Allez, réponds-moi, sans m’obliger à te tirer les vers du nez.
— Un Blanc a cassé la cruche d’une femme.

Les soldats tirés du lit avaient ouvert le feu sur les émeutiers et depuis c’était le chaos, un véritable bain de sang.
— C’est donc une révolte, dit Hanna. Il doit y avoir une raison.
— Vraiment ? ironisa Andrade. Ces sauvages n’ont pas besoin d’autre raison que leur soif de sang ancestrale pour déclencher une émeute qui causera leur perte.
Hanna avait peine à le croire. Cela ne pouvait être aussi simple. Le jour où le bateau du capitaine Svartman était au port, elle avait déjà remarqué hostilité et tristesse dans les yeux des Noirs. Elle vivait sur un continent triste, où les seuls à rire, et souvent bien trop fort, étaient les Blancs. Mais ce rire, elle le savait, n’était souvent qu’une façon de cacher une peur qui se transformait facilement en terreur. A cause de l’obscurité, de ceux qui s’y cachaient, invisibles.

Je vis dans un monde où les Blancs brûlent toutes leurs forces à tromper les Noirs et à se tromper eux-mêmes, songea-t-elle. Ils se figurent que les gens qui vivent ici ne se débrouilleraient pas sans eux. Et que les Noirs valent moins qu’eux parce qu’ils croient que les pierres et les arbres ont une âme. Mais les Noirs de leur côté ne comprennent pas qu’on puisse maltraiter le fils d’un dieu au point de le clouer sur une croix. Ils sont stupéfaits par ces Blancs si pressés que leur cœur lâche très vite, épuisé par la poursuite effrénée de la richesse et du pouvoir. Les Blancs n’aiment pas la vie. Ils aiment le temps, qui leur manque toujours.

Plus de Chronicles

Bon Rétablissement

Bon Rétablissement, Marie-Sabine Roger 🥈 Note : 17/20 💸 Je jette un œil à #LaListeÀPapa (challenge perso) et je vois que c’est au tour de ce roman. C’est le genre de lecture dont je sais d’office qu’elles vont me toucher – et ce fut le cas. J’allais donc chercher mon…

Lire plus

Goddess

Starcrossed, tome 3, Josephine Angelini 😒 Note : 12/20 😕 Alors que devrais-je penser de Starcrossed ? Je l’ai fini avant-hier et depuis, mon avis a beaucoup évolué. Au moment où j’étais en train de le lire, je détestais. Puis, quand j’ai terminé, je pensais que c’était moyen et maintenant,…

Lire plus

Dreamless

Starcrossed, tome 2, Josephine Angelini 🥉 Note : 15.5/20 👏🏼 Et c’est reparti pour la suite ! J’ai bien aimé toute cette intrigue autour des rivières de l’Enfer et de la quête d’Helen. C’était une façon créative de repenser une série qui s’inspire d’une mythologie que tout le monde connaît.…

Lire plus

Starcrossed

Starcrossed, tome 1, Josephine Angelini 🥉 Note : 15/20 👏🏼 Dans la série des livres que j’attendais de lire depuis DIX ANNÉES (!!), je vous présente Starcrossed. Eh oui, je reprends tous les premiers livres de la vieille et interminable liste de mes envies. La couverture est trop belle, le…

Lire plus

La Pierre des Larmes

L’Épée de Vérité, tome 2, Terry Goodkind 🏆 Note : 19.5/20 🏆 Deux semaines que je me promène avec cette encyclopédie dans les mains, pendant les fêtes en plus (bonne année !) donc l’ensemble de ma famille de passage chez moi a pu constater à quel point j’étais très bizarre.…

Lire plus

Chargement en cours…

Un problème est survenu. Veuillez actualiser la page et/ou essayer à nouveau.