Bon Rétablissement

Bon rétablissement, Marie-Sabine Roger

Présentation

Jean-Pierre est un vieil ours solitaire et bourru, à la retraite depuis sept ans. À la suite d’un accident bien étrange, le voilà immobilisé pendant des semaines à l’hôpital. Il ne pouvait pas imaginer pire.
De Camille, qui lui a sauvé la vie, à Maëva, adolescente hospitalisée qui vient le visiter dans sa chambre, les rencontres inattendues qu’il fera depuis son lit bousculeront son égoïsme…
Comme dans son précédent roman La tête en friche, l’auteur nous charme par ses personnages hauts en couleur, son humour, sa verve et son optimisme.

17/20

Chronicle

Je jette un œil à #LaListeÀPapa (challenge perso) et je vois que c’est au tour de ce roman. Ça faisait une éternité que je devais le lire ! C’est le genre de lecture dont je sais d’office qu’elles vont me toucher – et ce fut le cas. J’allais donc chercher mon petit bouquin à la médiathèque et là je découvre les éditions Feryane que je ne connaissais pas du tout et ce « texte intégral en gros caractère ». Très très gros effectivement. Y’a genre trois mots par ligne du coup on tourne très vite les pages et on ne voit pas le temps passer. Je suis une bigleuse de la première heure, j’vois rien au-delà de vingt centimètres donc ici, je n’avais pas besoin de mes lunettes pour lire ! C’est sympa, j’valide grave.

On nous présente donc l’ami Jean-Pierre qui se remémore des morceaux de vie au détour d’une chambre d’hôpital qui voit passer pas mal de monde. Notre héros un peu cabossé me semble sympathique au premier abord. Au moins jusqu’à la page 9 car je trouve l’emploi du mot « viol » un peu brut de décoffrage. Ça donne le ton au personnage. Ça marque sa manière de s’exprimer mais je considère que l’effet voulu (choquer le lecteur peut-être mais dans le contexte, ce n’est pas choquant) est sans intérêt. 

Au fil de ma lecture, je me remémore moi-même ces années passées à aller et venir à l’hôpital. J’ai la malchance d’être une familière des services pneumologie. De ces longs couloirs aseptisés dont les portes des chambres ne sont jamais vraiment fermées, d’où, entrebâillées, on discernait des corps malades allongés. Et de détourner le regard rapidement, par pudeur, par embarras aussi. Ça fait plus de deux ans que je n’ai pas franchi le seuil d’un hôpital mais je n’oublierai jamais ce que c’était d’y aller régulièrement. Ça me rappelle mon père qui se moquait, comme Jean-Pierre, de tout le corps médical avec leurs pipis et leurs cacas. “Alors monsieur un tel, on est parti à la selle ce matin ?“ C’est drôle de voir que les patients ont tous plus ou moins la même expérience de l’hôpital.

Jean-Pierre est tout en mélancolie. Je suis jeune mais j’ai toujours été une mélancolique dans l’âme (ça fait partie de mon personnage d’artiste incomprise). Être mélancolique arrivé à presque 70 ans, c’est une autre dimension. Sa vie est derrière soi. Ça doit être bizarre de se rappeler du jeune homme ou de la jeune femme qu’on a été, de toutes ces versions de soi qui amènent aujourd’hui à être là. Jean-Pierre est tout sauf un vieux con. Il essaye de ne pas le devenir, en tout cas. C’est un vieux monsieur attendrissant et touchant et pleins d’aventures de jeunesse. J’aime beaucoup la narration, elle est très attachante, tellement que j’avais envie de tout mettre en extrait (j’ai réussi à réduire ma liste à moins de dix, ouf !) 

Je comprends ce qu’il a vécu plus jeune. Quand on est l’aîné d’une famille d’ouvrier, le poids qui pèse sur nos épaules est lourd. Tous les espoirs reposent sur nous. Nos parents veulent nous voir réussir et les enfants se rebellent. Chacun son époque, mais il y a des choses qui ne changent jamais. J’aime les rêves et les ambitions que nos parents nourrissent pour nous. « Sa fierté d’ouvrier, c’était que je sois cadre. » Un bon travail bien payé sans trop se salir les mains. Mais Jean-Pierre a raison sur nous, les p’tits jeunes cadres dynamiques dont les intitulés de postes ne veulent rien dire pour cacher le vide de nos métiers. Y’en a qui se persuadent qu’ils font des choses importantes alors qu’ils ne brassent que du vent. J’aurais voulu avoir un métier qui donne un peu plus de sens à ma vie, où je crée quelque chose, où je rends service à des gens, où je me lève avec plaisir le matin car j’aime ce que je fais. J’aurais voulu être une critique littéraire professionnelle (tant qu’à faire, autant être payée (mais ça enlève un peu de son charme, non ?), à défaut, je me contente seulement de l’être passionnément. 

Ainsi, ma lecture va au grès des réminiscences de notre cher Jean-Pierre. Puis je reviens sur terre quand je lis les termes « un trésor de roi nè*** ». Je sais que c’est une expression française mais l’autrice pourrait quand même retirer celles qui sont périmées et racistes de son vocabulaire. Le livre a été publié en 2012, je n’accepte aucune excuse.

En revanche, si y’a bien des choses qui m’ont déconcertées, ce sont les manières dont on parle de la “sexualité“ des filles mineures. Tout d’abord cet extrait que j’ai trouvées… mouais, bizarre.

Je comprends que c’est une critique du tourisme sexuel (encore heureux) mais quand même !! Ça va pas, non ?

Le pire reste la conversation entre Jean-Pierre et l’infirmière Myriam à propos de la petite Maeva. À treize ans, on est censé faire ses devoirs, pas demander à son copain de mettre des capotes.

« Ce sont des petites filles qui veulent jouer aux grandes. »

Non, Myriam, ce n’est pas ça jouer aux grandes. On parle quand même de détournement de mineur. La légèreté de la conversation me choque. Ma génération est beaucoup plus avertie sur ce sujet et heureusement ! Jean-Pierre s’en sort toutefois mieux que l’infirmière dont le comportement m’a paru bien indécent :

« — Vous avez une drôle de conception de la responsabilité, vous ! Un garçon de presque vingt ans qui fout enceinte une fille qui en a treize, c’est plutôt moyen pour un jeune « sérieux », non ?
Myriam rigole, approuve de la tête, en ôtant la dernière compresse. »

On n’a pas tous le même humour, j’imagine.

Revenons à nos moutons 🐑🐑🐑

« « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », sinistre connerie !… »

Bien dit mon JP, tu m’as convaincu, c’est si vrai ! Il faut arrêter de regarder derrière soi mais c’est tellement dur. Je dois vivre ma jeunesse dans l’instant présent mais j’ai toujours l’impression qu’elle m’échappe. C’est dur, mais je vais essayer de mettre à profit tes perles de sagesse, Jean-Pierre.

La mort, la vie, le quotidien à l’hôpital, les patients âgés. Ça me rappelle mon père. Il me manque. Parfois, un rayon de soleil éclaire notre grise journée à l’hôpital : « Elle n’a mis qu’un seul r à Pierre. » J’ai mis tout l’extrait plus bas. Je suis très touchée.

Jean-Pierre se cache derrière une image d’ours mal léché alors qu’il a un cœur de guimauve. Il est très sympathique et j’ai adoré découvrir le récit de sa vie. Une vie. Quand je passais dans les couloirs de l’hôpital, je détournais les yeux des portes entrebâillées. J’écrivais plus haut qu’on y discernait des corps malades allongés. Ce que je ne voyais pas, c’était toutes ces vies bien remplies dont on n’a pas idée.

Une lecture un brin mélancolique qui aborde vieillesse, solitude, mort. Ni superflu, ni fioriture. Des personnages marquants et attachants. Un bol d’air frais quand on a besoin d’un bon rétablissement ❤️‍🩹


Les extraits que j’ai choisis

Je tenais à mes parents, même si c’était des parents, avec tous les défauts que ça peut sous-entendre, question autorité et interdictions. Je tenais à mon père, surtout. Je le trouvais balèze, pas seulement pour ses biceps plus épais que des cuisses. Il était fort, vraiment. Droit planté dans ses bottes. Riche de convictions, à défaut d’autre chose. Un gueulard, un sanguin, mais qui trempait ses mouchoirs aux mariages, aux baptêmes, appelait ma mère Mon p’tit bouchon d’amour, en se foutant pas mal du ridicule, et n’avait jamais peur de lui dire Je t’aime.
L’homme que j’aurais sûrement bien aimé devenir.

Pour moi, il a toujours été le petit.
Petit con, petit emmerdeur, petit crétin cafteur, petit merdeux.
Petit frère.
Vivante trahison de mes parents, qui avaient jugé bon de le fabriquer sans penser à me consulter, alors qu’ils m’avaient, moi, et que ça aurait dû suffire à faire leur bonheur.
Qui dire la douleur des frères et sœurs aînés, contraints de partager les Carambar, les épaules du père, les bisous de la mère, la banquette arrière de la bagnole, la trottinette et le vélo ? Qui dira à quel point c’est frustrant de devenir, du jour au lendemain, ou presque, et sans l’avoir voulu, celui qui doit donner le bon exemple ?
Pourtant, j’ai pris mon rôle à cœur, Hervé peut témoigner. J’ai tout fait pour lui apprendre la vie, la vraie, à coups de croche-pattes, de trahisons et de poils à gratter. Grâce à moi son enfance a été un très long bizutage.
J’étais le grand frère insupportable.
Je suis le vieux frère impénétrable.
Vu notre âge, c’est pour la vie, désormais, je le crains.

— Si je comprends bien, ça tient du miracle si je suis toujours là…
Il hoche la tête.
— Ah ça ! Vu l’heure, en plus… À cinq heures du matin, à cette saison, il n’y a pas foule, hein ? Vous rentriez de chez des amis ?
— Ça m’étonnerait, je n’en ai pas.
Il me jette un œil compatissant, toussote, sourit d’un air gêné, et change de sujet.
— Enfin, toujours est-il que sans cette personne, sous le pont, vous ne seriez plus là…
La « personne » en question, c’est le jeune prostitué qui m’a tiré de la flotte. Il a assisté au plongeon. Comme il ne savait pas nager, mais que je venais de faire un plat tout près du bord, il a réussi à me crocheter avec une gaffe et à me ramener vers la berge. Alertés par ses cris, les employés de la voirie qui vidaient les poubelles sur la rive d’en face ont appelé les secours. Le jeune m’a maintenu la tête hors de l’eau, le temps que le SAMU arrive.
Les toubibs m’ont dit que s’il avait essayé de me hisser sur le quai, il m’aurait complètement disloqué le bassin.
Fracassé par hasard, immergé dans la Seine, sauvé par un tapin et pas des éboueurs.
Je ne m’en lasse pas, rien à faire : mon destin est un vrai bonheur.

La mort nous fait penser à la mort, par association d’idées, je suppose. Celle des autres nous ramène à la nôtre, à celle de nos proches, à l’éventualité de notre disparition. Cette « éventualité » qui est notre seule certitude, mais que l’on traite avec un curieux scepticisme, comme si on pouvait se permettre d’en douter. On vit tous en sachant qu’on marche vers la mort. On fait comme si de rien n’était. Mais il suffit d’un accident sur le bord de la route, d’un parent qui nous quitte, d’un téléphone qui sonne au milieu de la nuit, d’un médecin qui tire la gueule en regardant nos analyses, et elle revient, la mort, cette vieille salope. Elle nous met la main sur l’épaule, nous fout des frissons dans le dos.

❤️
J’ai longtemps cru qu’il me détestait. C’était une erreur, à ce que m’a dit mon père, quelques années plus tard. Il m’aimait bien, pépé. Il me trouvait du caractère. Mais il faisait partie de ces gens à qui ça écorcherait la gueule de dire un mot gentil, de faire un compliment.
Mon père essayer de mettre ça sur le compte de sa génération.
— Avant, c’était comme ça, qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Les gens étaient pudiques. On ne passait pas son temps à se frotter le dos ou à se lécher la poire.
Tu parles.
Pépé n’était qu’un acariâtre, un vieux râleur. J’ai dû hérité de ses gènes.
Je suis pareil que lui, un constipé du cœur.

❤️❤️❤️
Et puis il y a trois photos prises ici même, dans ma chambre.
Deux de celles que j’ai faites de la jeune maman et de son mailleton. Mon petit amour, dit la légende. Une avec moi, le bébé dans mes bras. Moi et ma tête de vieux con misanthrope, de grincheux mal rasé. Moi, qui tiens dans mes bras empotés la larve compisseuse.
Et dessous, la légende : Justin et son papi Jean-Piere.
Elle n’a mit qu’un seul r à Pierre.

Ce n’est vraiment pas une raison pour se sentir à ce point remué.

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