EverWorld, tome 3, K. A. Applegate
Présentation
Il existe un monde que personne ne connaît, que personne n’imagine.
Bienvenue à EverWorld, le pays d’où l’on ne revient pas…
Toutes les histoires ont une fin, mais certaines se terminent de manière tragique… Senna a décidé de régner sur Everworld et n’hésite plus à employer violence sauvage, ruses démoniaques et manipulation. Toujours accompagnée de David, Christopher, April et Jalil, elle se rend en Égypte, dans l’Atlantide, puis en Irlande, terre de magie et de magiciens. Mais s’attaquer aux dieux et à ses amis d’hier n’est pas sans danger, elle pourrait bien y laisser la vie. Et si Senna venait à disparaître, le passage vers le monde réel se refermerait pour toujours…
16.5/20
Chronicle
Oh non, c’est fini ! Vous voulez que j’vous dise ? Eh, bien c’est le meilleur livre de cette trilogie intégrale. Je m’attendais pas à ça, tiens ! J’aime trop avoir des bonnes surprises comme celle-là, ça me conforte dans l’idée qu’il faut terminer les séries que je commence car même si je suis tombée sur un tome que je n’ai pas aimé, ceux d’après peuvent carrément bien rattraper le coup (Amel, tu ne fais que nourrir ton côté maniaco-obsessionnel en disant ça !)
Enfin le tome de Senna ! Dès le début, on joue carte sur table. On commence à peine le chapitre un qu’on a quasi toutes les réponses à nos questions notamment pourquoi elle a choisi chacun d’eux à venir avec elle à EverWorld et quels sont ses plans et son but pour la suite. J’ai aimé lire ses réflexions, c’est un perso intéressant bien que trop mature pour son âge dans sa façon de parler et de se comporter. En fait, elle excelle dans la manipulation. C’est une fille bizarre, profondément seule et malheureuse qui n’a sa place nulle part et qui a donc décidé de compenser ses faiblesses en devenant l’ennemi de tout le monde, une fille arrogante, égoïste et inaccessible pour le commun des mortels que, de toute façon, elle méprise. Je continue de tourner les pages et j’me rends compte d’un truc que je n’avais pas forcément remarqué dans les précédents volumes car on n’était pas dans sa tête : en fait, c’est une psychopathe. Ce que je décris à la phrase d’avant en sont carrément les symptômes. Elle est malade. Du coup, j’étais partagée sur son personnage car, à la fois, je comprenais ses motivations et sa logique mais en même temps, elle ne m’inspirait aucune sympathie. J’ai trouvé que c’était quand même cool d’être dans la tête d’une folle qui « aime les fous » sans jamais se considérer elle-même comme telle.
Parallèlement, si Senna a eu le droit à son petit tome rien que pour elle, je me suis immédiatement demandé qui allait sauter. Évidemment, non pour David, donc il restait les trois autres. Si l’un d’entre eux est privé de tome, est-ce que ça veut dire qu’il va mourir ? L’autrice est tellement safe, elle ne ferait jamais mourir ses héros. Je disais déjà au tome d’avant qu’ils ne rencontraient sur leur chemin que de fausses péripéties car dans tous les cas, ils ne leur arrivent jamais rien, ils traversent chaque décor très facilement sans jamais être atteints par quoi que ce soit. J’avais hâte de découvrir qui seraient les prochains narrateurs.
En attendant, on découvre enfin qui est la mère de Senna et quelle déception, on tombe sur une servante impuissante qui se fout de sa fille comme d’une guigne (finalement, j’aime beaucoup cette expression, définitivement rentrée dans mon vocabulaire). À ce moment-là, je dois avouer que j’étais désolée pour la pauvre Senna, abandonnée une deuxième fois par sa propre mère ce qui la rendra parfaitement indifférente et ce qui est, en définitif, le plus triste. Comment ne pas en vouloir au monde entier ?
Fait amusant, sa mère a introduit en Égypte everworldienne les grandes chanteuses du monde réel que les Amazones vénèrent. « La déesse Aretha » ? La diva de la soul, vous voulez dire ?? Trop cool ! et je suis totalement d’accord, elle mérite d’être une déesse dans un autre monde tellement sa soul est magique.
Concernant les Amazones, Senna se demande à un passage pourquoi Jolie Petite Fleur, leur cheffe, « n’avait rien de grec ». Et pourquoi elle aurait quelque chose de grec ? Les Amazones viennent de Grèce ou d’Amazonie ? (C’est une vraie question, j’en sais rien).
Puis vingt pages plus tard, David et Jalil discutent de la façon dont ils pourraient vaincre les amazones, leurs dangereuses ennemies et April nous sort d’un coup :
« — Oh mais taisez-vous, vous deux, est intervenue soudainement April. Ce sont juste de belles femmes avec de belles jambes et une forte poitrine. »
Donc les garçons parlent de l’intelligence de leurs ennemies féminines mais elle, elle préfère parler de leurs seins ? Est-ce que ce serait possible d’envoyer April se rendormir en attendant qu’on finisse la série ? Le très peu qu’on voit d’elle est déjà trop.
Voilà pour le tome 1 au coeur de l’illusion. On arrive maintenant au tome 2 où sans surprise, David reprend la narration. Alors ce tome-ci était le moins bon de ce volume. Il ne se passe pas grand chose, on apprend rien de significatif, on découvre le monde inconnu en question qui est l’Atlantide mais nos héros y restent pas assez pour que ça vaille vraiment le coup de développer. Je reviens d’ailleurs sur ce que je disais plus haut car, en réalité, notre team de choc rencontre quelques péripéties notamment avec le dieu Neptune mais, pff, j’veux dire, rien ne les atteint. On sait déjà qu’ils s’en sortiront indemnes sans qu’il ne leur arrive rien de particulier à la fin donc bon, oui, ça se lit, mais c’est pas prenant car ils vivent leurs péripéties de loin, si j’peux dire. Puis, on arrive aux dernières pages du tome où Christopher se fait engloutir par un géant et je me dis tout de suite que c’est peut-être lui qui meurt vu qu’il y en a un qui saute forcément de la narration. Mais non, voyons, l’autrice est frileuse, elle ne ferait jamais mourir ses héros.
Et donc, non, bien sûr, il ne meurt pas. On le retrouve directement dans le tome d’après pris au piège dans le gosier du géant. Okay, donc ça va se jouer entre Jalil et April pour le dernier tome. Avant cela, concernant ce troisième, je me pose tout de suite la question : comment se fait-il que Christopher a le tome le plus long des quatre dans cette ultime intégrale ? Ce n’est certainement pas lui le plus intéressant de notre team de héros. Ce que je pense se confirme rapidement dans le récit car Christopher tombe éperdument amoureux de la magnifique demi-elfe Etain et alors qu’est-ce qu’on s’ennuie en lisant sur son crush d’adolescent bien rasoir 🪒. J’ai trouvé que ses épanchements amoureux ralentissaient le rythme ce qui est bien fâcheux car je m’aperçois au fil des pages que c’est le meilleur tome. Toute l’action, le point d’orgue de toute cette épopée nous est livré ici : l’affrontement avec Senna ! J’ai beaucoup aimé cette partie, c’était très entraînant. C’est pour ça que son fol amour pour Etain est saoulant, on s’en fout, en fait ! Et, comme il est amoureux, il va se mettre à faire n’importe quoi pour l’impressionner, dans d’autres termes, faire que des trucs bêtes. Mais, c’est pas très grave, en vrai, j’ai plutôt bien apprécié Christopher, on voit qu’il a beaucoup grandi depuis le début. Surtout, quel plaisir de voir notre équipe enfiiiiin se désolidariser de Senna.
Moi non plus je l’aime pas cette petite nazillonne folle furieuse. Tout se recoupe avec les tomes d’avant, c’est donc pour ça qu’on parlait de groupe de nazis ! Vous savez, j’ai lu ce livre et j’écris cette chronique actuellement au moment des très grosses #manifestations et #grevegenerale à propos de la #ReformeDesRetraites en France. D’ailleurs, les grévistes s’il-vous-plaît, fumez-moi ce pays ! Tous ensemble contre ces connards du gouvernement #macrondémission #macrondécapitation. J’adore cette petite ambiance #revolution, what a time to be French.
J’en parle car dans le livre, Senna recrute le petit groupe d’extrémistes décérébrés car ce sont des illuminés dont le seul but est de taper sur tout ce qui bouge, ils sont extrêmement violents. Donnez-leur juste des armes et la liberté de fusiller qui passerait par là et ce sera le plus beau jour de leurs vies, le max de leurs existences, leur grand moment de gloire, ce pourquoi ils sont nés. Vous voyez la connexion avec la police, les crs et les abrutis de la brav-m #violencespolicieres ? C’est littéralement des hooligans cons comme leurs pieds à qui on a donné des armes pour faire joujou avec. La disproportion de la violence et du recours aux armes contre des manifestants globalement pacifiques est choquante. Quoique pas étonnant, c’est littéralement le quotidien des noirabes en banlieue (mais visiblement, la violence est plus choquante sur des blancs 🤫). N’empêche, j’en reviens pas des images de #SainteSoline où on aperçoit des manifestants grave tranquilles en train d’exercer leur droit de manifester puis des shlags en uniformes sur des quads en train de jeter des grenades. Ahh, tout ça pour un pauvre trou au milieu des champs ? Non, mais on est où là ? L’analogie entre le groupe nazi dans le bouquin et la police dans la vraie vie était très parlante et surtout drôle à lire si ce n’était pas aussi dramatique. Voilà donc ce qu’on fait des illuminés nazillons dans notre pays ? On les fout dans la police où ils pourront vivre de leur passion en toute légalité ? Après avoir fumé le pays, faudrait ensuite sérieusement songer un jour à détruire et rebâtir en totalité l’institution policière qui se partage actuellement entre racisme, misogynie et trou sans fond de bêtises et de débilité.
Revenons-en à notre histoire. Faut dire que notre petite sorcière timbrée avait bien préparé son coup. Sa petite armée de nazis est armée jusqu’aux dents face à des adversaires everworldiens qui se battent à cheval et à l’épée et qui n’ont aucune idée de ce qui va leur tomber dessus. Moi, j’ai juste une question en suspens : comment David était au courant qu’elle ramenait des gens du monde réel à EverWorld ? Donc, il savait mais voulait encore protéger Senna. Décidément, y’a rien à faire pour le général Davidos, lui qui veut être et se prend pour un héros mais qui n’est pas capable de reconnaître la véritable ennemie du monde qu’il souhaite sauver.
Naturellement, on se demande tout de suite où est Merlin. Après tout, on est sur les terres du magicien, le seul capable d’arrêter Senna. Il apparaîtra donc vers la fin du tome (je suppose qu’il devait être en croisière posé pépère avant ça) mais ce n’est pas lui qui arrivera à bout de la maléfique Senna ; c’est sa propre demie-sœur ! Elles qui se détestaient depuis le premier jour, bah on peut pas faire plus symbolique que ça comme fin. Si Senna avait été plus sympa avec elle, peut-être qu’elle aurait eu une toute autre trajectoire de vie. Dommage pour elle, tant mieux pour nous. Franchement, j’dois dire que j’ai été satisfaite de cette résolution malgré quelques énormités comme le fait que Senna ne reconnaisse pas sa soeur qui s’est déguisée en druide en se collant une barbe sur le menton (et c’est donc comme ça que celle-ci arrivera à l’atteindre et la tuer). Autre chose : pourquoi Senna décide de passer à l’action sur les terres du magicien ? On nous donne pas vraiment de réponse à cela et ça ne semble pas logique vu comme l’endroit semble dangereux pour elle. Bref, je laisse couler car c’est une trilogie jeunesse, je ne demanderais jamais plus à un bouquin que ce qu’il peut faire et pour moi, ici, ça fait le taff. Dans tous les cas, j’ai pris grand plaisir à lire !
Il me reste deux petites remarques sur ce troisième tome : la première, c’est Ka Anor. Bah alors, il ne dévore plus les dieux, il a disparu ? Je comprends donc que l’autrice a préféré procéder en deux parties, chacune résolvant un des deux gros noeuds de l’histoire. La première avec Senna, c’est fait, donc je suppose que la deuxième avec Ka Anor terminera la trilogie.
Ma deuxième remarque, c’est : « casser du négro et brûler les youpins ». Hé ho, la trad, ça va, j’vous dérange pas, peut-être ? Putain mais combien de fois va falloir que je répète que je ne veux pas voir de propos racistes dans les livres que je lis ?! Encore plus quand c’est des livres jeunesse !! J’en ai marre que personne lise mes funky chronicles. Le monde se porterait tellement mieux si vous les lisiez. En fait, c’est pas David le héros, c’est moi l’héroïne ! c’est juste que personne me calcule. Inconnue en plus d’être une artiste incomprise.
Je raconte beaucoup ma vie dans cette chronique, après je me plains qu’elles soient trop longues… pardonnez-moi.
Il était donc venu de savoir qui serait le narrateur du dernier tome. Jalil ou April ?
April ! Au début, je me disais que c’était dommage de ne pas avoir la version de Jalil, j’aurais bien voulu avoir son ressenti sur la mort de Senna, elle qui le détestait tellement, mais c’était plus logique de se retrouver dans la tête d’April pour clore la saga car c’est elle qui a tué la méchante. Figurez-vous que de tous les personnages, elle a été la plus intéressante à (re)découvrir, elle qui pourtant était effacée tout le long de leurs aventures. Le fait d’avoir tué sa demie-sœur donne une nouvelle envergure à son perso. On voit qu’elle est en plein changement, elle devient quelqu’un d’autre. En fait, April est, d’entre tous, le personnage le plus humain de cette trilo. Elle a pleins d’émotions, pleins de réactions, pleins de sentiments que toute personne normale aurait à sa place. J’ai aimé que l’autrice lui donne plus de caractère et qu’on puisse assister au cheminement de sa réflexion, du “je veux rentrer chez moi et retrouver ma vie“ à “et pourquoi pas rester ?“
Dans cet ultime volet, on n’a pas le combat final contre Ka Anor auquel je m’attendais. J’ai bien vu qu’il y avait trop peu de pages pour que ce soit le cas. À la place, notre petite team de choc cherche plutôt des moyens d’anéantir le dieu extraterrestre en neutralisant d’abord l’armée de nazi que Senna a laissé derrière elle et qui serait parfaitement susceptibles de rejoindre Ka Anor avec toutes leurs armes. Quand Senna était encore là, je pouvais comprendre qu’ils étaient intouchables car ils avaient la force de ses pouvoirs magiques avec eux. Mais maintenant qu’elle n’est plus, pourquoi seraient-ils encore aussi dangereux ? Y’a qu’à envoyer Merlin les neutraliser ou encore mieux, un dieu comme Zeus qui n’en ferait qu’une bouchée. Pour des dieux aux pouvoirs illimités, ils sont quand même assez faiblards. J’vois pas comment une petite bande de mortels dégénérés seraient autant à craindre, ça n’a pas de sens mais, je laisse une fois de plus passer. Franchement, j’aime bien ce que je lis, je reconnais les efforts de l’autrice au niveau du récit et je n’oublie pas que c’est un livre qui s’adressent à un public qui a genre treize ans de moins que moi donc moins difficile à convaincre.
Et voici pour la dernière chronique d’EverWorld. J’dois avouer que je pensais dès le début de la saga qu’ils trouveraient un moyen de rentrer chez eux, même sans Senna (pas David, hein, bien sûr qu’il serait resté celui-là). Jusqu’à la fin du tome 3, je le pensais encore mais il s’avérât donc que le voyage était sans retour.
J’ai adoré les trois dernières pages de la fin. Pourtant, j’suis pas très friande de fins ouvertes, mais là, c’était assez cool. Y’a encore moyen d’écrire au moins un volume intégrale de plus sur les aventures de notre team de choc quand on voit le champs des possibles que la fin esquisse avec en premier la guerre contre Ka Anor, mais aussi le nouveau monde des nains qu’on découvre, le lutte pour la main d’Etain, puis le retour des dieux nordiques et des Vikings. Mais c’est pas grave, c’est tout aussi bien d’imaginer à l’infini leurs aventures.
Je suis super contente d’avoir repris cette vieille série de mon enfance au moins pour une chose. À la fin, elle m’a rappelé un truc que j’me disais tout le temps quand j’étais petite : partir à l’aventure ! Quand je vois nos héros embrassaient EverWorld à la quête de nouvelles péripéties incroyables, je me suis souvenue de moi qui me plongeais dans mes livres exactement pour cette raison. J’ai toujours été “bloquée“ chez moi, à refaire le monde dans mon éternelle petite chambre. J’ai toujours eu l’âme d’une aventurière mais je n’en ai jamais rien fait. J’exprimais ce côté de moi dans la lecture. Je n’ai jamais fait d’activité extra-scolaire (d’où le fait que je lisais beaucoup, je n’avais rien d’autre à faire), je n’ai jamais voyagé, je n’ai jamais été embarquée dans une expédition hors du commun, je n’ai jamais été la gardienne d’un grand secret, je n’ai jamais eu beaucoup d’amis (en ai-je même eu un jour ?), je n’ai jamais crié de toute mes forces en haut d’une montagne puis écouter les échos de ma voix, je n’ai jamais dormi à la belle étoile perdue dans l’immensité du désert, je n’ai jamais volé sur le dos d’un dragon – ou d’un bison volant, je n’ai jamais exploré de mondes inconnus, je n’ai jamais porté de jolies robes de princesses. J’étais juste une petite fille solitaire dans mon coin. Je lisais des livres comme EverWorld et je me disais que quand je serai grande, je partirai moi aussi pour vivre pleins de choses incroyables. Merci à tous ces vieux livres de mon enfance, qui, le temps d’un instant, m’ont embarqué pour des aventures extraordinaires.
NB : je signale que j’suis vraiment quelqu’un d’extraordinaire donc j’comprends pas comment ma vie, encore aujourd’hui, peut être aussi rincée. Tragique.
Les extraits que j’ai retenus

Le seul endroit intéressant pour moi, à partir de l’âge de huit ans, était cet établissement psychiatrique, où les fous s’asseyaient dans une petite cour extérieure pour aller fumer et laisser les médicaments agir et se battre contre leurs démons intérieurs. Je ne me suis jamais considérée comme l’une des leurs, mais je me suis toujours demandé s’ils n’entrevoyaient pas ce que j’étais la seule à distinguer clairement.
J’aimais les fous. J’avais été attirée par la folie de Jalil.
Mais cette affection ancienne que j’avais éprouvée pour lui ne m’empêcherait pas de lui faire du mal maintenant.
J’étais devant chez lui, dans une rue sombre. Et la chose ou la personne qui m’empêchait de l’atteindre à Everworld ne pourrait rien pour lui ici.

— Mon nom est Senna Wales, ai-je répondu.
Puis, pour lui faire abandonner cette expression de pitié suffisante de sa petite figure, j’ai ajouté :
— C’est ainsi que mon père m’a appelée.
— Où est ton père ?
— C’est lui, en bas.
Son regard s’est assombri.
— C’est mon père.
— Plus maintenant, ai-je ajouté. Maintenant, c’est le mien. Tu peux garder l’autre, ta mère.
À cet instant, des cris sont montés du rez-de-chaussée. Une forte voix de femme, aiguë, qui couvrait presque entièrement une voix d’homme plus grave, plus retenue.
— Tu peux toujours continuer à dire que c’est ton père, ai-je proposé à April, mais toi et moi, nous savons bien que c’est faux.
Après toutes ces années, ce souvenir me donne toujours des frissons.
Je devais déjà être une petite fille très intelligente à l’époque. Ou, tout au moins, avec un bon instinct.
Je n’avais eu le choix qu’entre deux solutions : essayer de m’intégrer, de m’assimiler, de me fondre dans la famille, d’être une bonne petite fille à la maison comme à l’école, et je n’aurais jamais été satisfaite de cette situation. Ou bien je pouvais les dominer en ne les mettant jamais à l’aise, en les manipulant, en les surprenant, en les dérangeant.
Je pouvais devenir une fausse membre de leur joyeuse famille, m’inventer une vie comme je l’entendais et mener mon existence sans qu’ils ne puissent rien contrôler.
Ils ne m’aimeraient jamais, personne ne le ferait, ma propre mère m’avait abandonnée. Ma propre mère n’avait pas… Bien, enfin, le mieux était encore qu’ils aient tous peur de moi.

Je me suis concentrée sur moi-même, je me suis fondue en moi-même. J’ai attiré mon corps à mon esprit, mon esprit à mon corps, je me suis recomposée.
J’ai ouvert le passage.
En un éclair, en un instant il s’est ouvert. J’étais la voie. J’étais ce tunnel entre les deux univers, mon corps était creux, mon esprit pouvait sentir et voir les deux univers simultanément, et bien d’autres mondes qui les côtoyaient.
L’extase ! Une montée incroyable, indicible de bien-être. Comme un drogué sentant la drogue se répandre dans son sang, un alcoolique avalant sa première gorgée d’alcool. Oh, j’aurais voulu crier, perdre le contrôle de moi-même pour laisser aller le plaisir. C’était mon corps, c’était mon esprit, c’était le sexe, l’argent, le pouvoir, la revanche, le triomphe, tout ça réuni.

— Parce que… parce que, d’après vous, nous sommes des prophètes ? a demandé April, un peu gênée.
— Bien sûr ! a répondu Etain en souriant. Que pourriez-vous être d’autre ? Vous venez d’un autre monde. Vous nous avez révélé mille choses. Vous avez apporté à Everworld savoir et lumière. Vous êtes si admirés ici-bas que votre réputation a dépassé la réalité.
Son raisonnement se tenait. Cependant, sa dernière phrase m’a mis la puce à l’oreille.
— Comment ça ? Notre réputation a dépassé la réalité ?
Etain a eu son petit rire-qui-fait-sourire.
— Eh bien, on vous décrit comme des êtres de légende, ni elfes ni dieux, à peine humains, n’appartenant à aucune race connue, immensément grands, parés d’or et d’argent, couverts de diamants et de rubis, marchant sur les nues entourés d’une légion de dragons…
— Cela n’a rien d’exagéré, ai-je fanfaronné. Vous avez en effet décrit une de nos apparences. Mais nous aimons aussi passer incognito. C’est merveilleux d’être simple, par moments…
Flop. Ma vanne est tombée à l’eau.

— Et alors ? Tu crois que mon ancienne vie me manquerait tant que ça ? Qu’est-ce que je laisserais derrière moi, hein ? Des parents ivrognes, un frangin que je déteste et un avenir tout tracé. Un boulot sans intérêt, un mariage raté, des gosses qui sombrent dans la drogue, un début de calvitie à quarante ans, l’infarctus à cinquante et le cancer de la prostate à soixante. Le scénario classique de l’Américain moyen. Et le pire, c’est que ça m’aurait plu. Je suis un gars simple à la vie simple, April. Je me serais contenter de mener une existence pépère, avec ses petits soucis et ses petites joies. Tu te souviens comme on s’est fichus de David, moi le premier, quand il critiquait le monde des adultes ? Eh bien, je ne suis pas comme lui, je n’ai pas l’âme d’un héros, mais je sais seulement que cette vie-là ne me tente plus, voilà tout.

Il y a un proverbe qui dit : « Aucun homme n’est une île ». Aucun de nous n’est véritablement seul. Nous sommes en relation les uns avec les autres, que nous vivions en temps de guerre ou de paix. Cependant, je pense qu’aux grands moments de l’existence, lors de transitions ou d’événements cruciaux, il y a un dicton encore plus vrai : « On vit et on meurt seul ». On prend soi-même – tout seul – la décision d’avancer ou de reculer, d’entrer dans la vie ou d’en sortir.


