Je Suis Venue Te Dire

Je Suis Venue Te Dire, Cynthia Kafka

Présentation

À vingt-huit ans, Rose a l’âge où l’on a d’ordinaire trouvé sa voie. Or sa vie est sans charme ni éclat. Elle ne sait pas comment allumer l’étincelle qui la fera briller, mais elle connaît la cause de ce désastre : son géniteur.

Après dix ans d’absence, elle regagne sa ville natale à la rencontre de ce père tant haï pour régler ses comptes avec lui et enfin se reconstruire. Mais, surprise, elle le découvre en soins palliatifs, dans l’incapacité de répondre à ses questions, ne pouvant que l’écouter.


Entre ses croyances d’enfant et ses rancoeurs d’adulte, Rose part à la découverte de l’autre pour s’accepter. Mais comment trouver la force du pardon quand on s’est construit dans la colère ?

11/20

Chronicle

Le mois dernier, je suis sortie avec une très grande amie à moi. Je la considère comme de la famille depuis que nous sommes allées à Zanzibar ensemble. Ça m’a fait trop plaisir de la voir et on a passé une super soirée. Elle m’a fait découvrir un restaurant jap – pour moi qui ne mange jamais asiatique – et c’était super bon ! Je devrais vraiment varier les restos de temps en temps ! On a même fait des photos (j’crois pas qu’elle aimerait que je les publie mais après tout, elle n’est pas au courant de mon blog héhé).

J’ai dormi chez elle cette nuit-là et elle m’a passé ce livre qu’elle a ramené de son voyage du Canada, en février dernier. Elle m’a dit que ça l’avait fait penser à moi. Je l’ai remercié, je l’ai pris, je l’ai lu et me voici pour une nouvelle chronique imprévue.

Je comprends pourquoi elle a pensé à moi. Voyez-vous, j’ai perdu mon père il y a un an et demi (déjà ?) et c’est l’histoire d’une jeune femme qui est elle-même en train de perdre le sien. Je n’avais pas commencer que je ressentais beaucoup d’empathie pour le personnage. Je sentais que ça allait être une lecture qui allait me chambouler. 

Je commence le livre en me disant “oh, comme c’est triste d’être une enfant ignorée“. Le personnage me semble très fragile et je compatis à ses traumas d’enfance. J’ai hâte de voir comment elle va surmonter tout ça et évoluer. Or, très vite, je me rends compte que Rose n’a justement pas évolué de son enfance à sa vie d’aujourd’hui, elle fait du sur place et remet tous les problèmes de son existence sur le dos de son père. C’est simple : tous les maux de la Terre, c’est la faute de son père. D’un autre côté, son daron est horrible par son absence et sa lâcheté tout au long de son enfance. Bon, je pensais quand même qu’elle serait un peu plus mature car Rose a 28 ans mais j’attendais de voir la suite. Après tout, ce ne sont que les premières pages. 

Du coup, ma patience vis à vis d’elle n’aura tenu que jusqu’à la page 22. Ça y est, je suis exaspérée.

« Moi, je ne suis ni très grande, ni très mince, ni très grosse non plus. Je ne suis ni laide ni belle. Je suis commune et passe-partout, à l’image de ma personnalité. Quelconque. »

Comme c’est chiant les gens qui font que se dénigrer ! Je ne tolère ce genre de discours que de la part des lycéennes de mes romans jeunesse. Passé 18 ans, c’est niet ! Désolée mais à un moment, faut grandir, hein. Ce genre de discours d’auto-dénigrement sont d’une immaturité. Ah mince, moi qui étais acquise à la cause de Rose dès le départ, je sens qu’elle va vite commencer à me saouler.

Puis, on arrive au moment où elle découvre l’unité de soins palliatifs et qu’elle s’apprête enfin à revoir son père après dix ans. Je suis vraiment troublée par le comportement et les mots de Rose. Elle est d’un cynisme. J’ai du mal à suivre le personnage. La situation est grave, elle a l’air d’en avoir pleins sur le coeur, elle prépare une confrontation avec la personne qui semble être la cause de tous les problèmes de sa vie, le médecin vient de lui dire que cette dite personne, qui est accessoirement son père, est dans un état gravissime, c’est pas le moment de blaguer avec les aides soignantes, en fait. 

Au-delà de Rose dont je trouve le comportement hors-sol à ce moment-là, les souvenirs des derniers instants avec mon père me remontent. Lauryne, pourquoi tu m’offres à lire un truc qui me fait aussi mal ? J’aimerais oublier pour toujours ces derniers jours à l’hôpital, ——————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————————-… non, je viens d’écrire quelques lignes, je les ai toutes effacées. Mon père était tellement pudique, tellement digne, il n’accepterait jamais qu’on le dévoile ainsi, j’ai trop de respect pour lui. J’aimerais oublier, mais je n’oublierai jamais.

Quand je lis donc sur ce vieux monsieur en fin de vie crevant seul dans son lit pendant que sa fille supposée être à bout de nerf s’amuse et fait des rencontres, ma sympathie bascule de l’autre côté. Les antagonistes s’inversent. Rose m’inspire de plus en plus de mépris car je m’aperçois au fil de ma lecture que sa colère vis à vis de son père est vide de sens. Peut-être qu’il a été médiocre dans son rôle, elle ne l’a été pas moins elle-même. Peut-être que son père est un « handicapé du coeur », elle l’est tout autant. C’est honteux de sortir dans le couloir pour « m’éloigne rapidement » quand elle voit que son père est réceptif à ce qu’elle lui raconte, qu’il lui sourit même. Pourquoi fuir, toi qui es venue expressément pour lui dire ses quatre vérités ? Pourquoi fuir un père seul et à l’agonie quand toi, sa fille, tu es sa seule source de réconfort avant la mort ?

Et là, dans tout le drama qui se joue devant nous, une petite phrase en tout légèreté m’a fait rire jaune : 

« Elle ressemble à une vache dans un groupe de Miss France. »

Oh, bah tiens, bonjour grossophobie, ça faisait longtemps !

Je n’en étais qu’à la page 52 et j’avais déjà écrit sept notes sur mon papier. Quand je m’arrête autant pour annoter des trucs, c’est très mauvais signe, le signe de trop de choses qui clochent. En fait, je comprends que Rose en veuille à son père mais elle est beaucoup trop immature dans sa façon d’exprimer sa colère et même dans la façon avec laquelle elle raconte ses souvenirs d’enfance. Pour info, le roman alterne un chapitre dans le présent et un chapitre dans le passé donc on s’attarde beaucoup sur ses souvenirs (plus au moins puérils, d’ailleurs. On a juste envie de lui crier de grandir un peu !) qui servent d’explication à la situation aujourd’hui mais au final, ça donne pas plus raison que ça à Rose, c’est même l’inverse. Elle ne prend aucun recul pour analyser son enfance et j’dois dire que les souvenirs de son père ne sont pas aussi catastrophiques que ça. L’ignorance est un traumatisme mais ce n’était pas non plus une enfant livrée à elle-même vu comme elle était encadrée et aimée par sa grand-mère et sa tante – et son père ! Si elle prenait juste le temps d’avoir un peu de recul, elle percuterait que son père était endeuillé (et comme c’est dur d’être endeuillé !), alcoolique et profondément dépressif. Il est malade. Ce n’est pas une raison pour négliger sa fille mais un peu de compréhension et d’empathie, ça ne fait pas de mal. Rose est incapable de voir plus loin que le bout de son nez, elle est aveuglée par son propre malheur d’avoir eu un père démissionnaire. Et finalement pas si démissionnaire que ça car au fil du livre, ses mauvais souvenirs d’enfance laissent la place aux bons et y’en a pleins ! Vers la fin, il se passe quelque chose d’intéressant : 

voir le spoil on apprend que Rose pensait que son père était responsable de l’accident de sa mère mais en parlant à sa tante qui lui remémore des souvenirs qu’elle avait oubliés, elle se rend compte que c’était faux. Elle a donc fait la gueule dix ans à son père pour littéralement rien. Dès lors, comment se fier à ses souvenirs ? Peut-être que tous les chapitres que nous venons de lire sur son enfance sont complètement biaisés par la colère qu’elle lui voue. Peut-être que tout est faux, qu’elle s’est fait des films toute seule, ce qui est fort probable tout compte fait.

Du reste, l’héroïne est vraiment pathétique et je lui accorde un bon point sur le fait qu’elle s’en rend compte elle-même. Elle mène une vie d’une platitude déprimante, que dis-je ? Pitoyable. Comme pour tout, elle met tous les échecs de ses relations amoureuses sur le dos de  son géniteur. J’crois pas que son père l’ait envoyé sortir avec un mec de 52 ans. Purée, la loose. En plus son vieux mec est pauvre. À quoi bon sortir avec un sugar daddy sans sugar ? J’dirais même que le plus pitoyable dans tout ça, c’est la raison de son retour dans sa ville natale. Elle ne décide pas volontairement d’aller au chevet de son père, elle y va pour fuir son vieux qui vient de la tromper. Ça veut donc dire que si elle n’avait pas appris pour la tromperie, elle ne se serait probablement pas déplacée pour son père mourant. Elle ne serait pas venue lui dire comme l’affirme si bien le titre. J’insiste sur ce point car ce que je veux signifier ici, c’est que sa colère contre son père est, comme je disais plus haut, totalement vide de sens. Sa colère est une façade à rien derrière, elle est superficielle et montée de toute pièce. Le problème, c’est que toute la démonstration du livre se fonde sur cette fameuse colère qui découle de ses blessures d’enfance. Tout ce que Rose dit, Rose ne le montre pas dans ses actions. Elle parle comme une femme blessée et à fleur de peau alors que son comportement suggère tout le contraire. Pour faire simple, Rose est un personnage très mal construit. Il ne suffit pas de lui faire dire “oh, j’en veux trop à mon père“ pour qu’on y croit. Il faut des actes en conséquence. Il n’y en a aucun. Rose n’est pas en colère contre son géniteur, elle est quasi totalement indifférente à lui. Comment peut-elle se forcer à aller visiter son père trente minutes par jour puis sortir retrouver ses amis, boire un verre, rencontrer du monde, aller au bowling, coucher avec des hommes (!!!), profiter de la vie, quoi, tout en oubliant que son père est à l’agonie ?! 

La session baise avec Cédric m’a vraiment choqué. Comment t’as l’esprit à penser à ça ? Dans la réalité, si elle était si en colère, si pleine de haine, de reproches et de ressentiments à l’égard de son père, elle serait à bout de nerf, elle nous aurait fait un mental breakdown, elle aurait tout cassé, elle qui a passé toute sa vie à se retenir, elle aurait eu besoin d’être seule pour faire le point, pour se concentrer sur son père, son enfance, sa relation avec lui, sur le besoin de pardonner ou non, sur la nécessité de passer à autre chose en laissant son père s’en aller. Sur les 300 pages que j’viens de lire, à aucun moment Rose prend le temps d’une réflexion pourtant si essentielle autant à son salut qu’à celui de son père. J’vous le dis, elle n’en a vraiment riiiien à branler. En témoigne le cynisme avec lequel elle s’exprime, petit florilège :

[après avoir dit à son père qu’elle avait eu envie de le faire souffrir] « mon cœur à moi a beau s’alléger, si celui de mon géniteur cède au milieu de mon monologue, je culpabiliserai à tout jamais. Merci, mais non merci, je n’ai pas besoin d’un truc de ce genre sur la conscience. »

« — Oui, c’est vrai. Je n’ai jamais assisté à un enterrement où on nous balançait que le défunt était un gros connard qui faisait chier tout le monde et qui devait de la thune à la moitié de l’assemblée !
— Ah ! Tu vois ! Pourtant, il y en a bien des cons qui meurent aussi, non ? Ce n’est pas réservé aux gentils, la mort ! »

« — […] Je leur demanderais bien, moi, à tes copains, où ils sont passés maintenant que toi, tu es enfermé ici, seul. Est-ce qu’ils se soucient de toi ? Est-ce qu’ils parlent de ton état, au moins un peu ? Est-ce que ce qui t’arrive leur fait peur, est-ce qu’ils craignent de subir le même sort ? Ou alors juste, est-ce qu’ils s’en foutent ? J’avoue que je suis curieuse de le savoir. Je sais ce que tu pourrais dire. Moi non plus, je n’ai pas été très présente. Mais moi, je suis partie, avec l’intention de ne plus jamais revenir. Eux, ils sont restés installés au comptoir. »

Eh beeh, c’est hallucinant de méchancetés. Je me suis demandé plusieurs fois au cours de ma lecture si l’autrice avait elle-même perdu son père ou si c’est juste de l’écriture d’invention, des mots vides pour une colère vide. C’est quoi le but ? C’est ça vider son sac ? C’est toujours possible de le faire en restant décent. Là, j’avais plutôt l’impression qu’elle cherchait à le narguer et si c’est pour faire ça, autant passer son chemin. Faut s’imaginer en train de dire tout ça à son paternel sur son lit de mort. Dans la vraie vie, j’suis pas sûre qu’il y ait beaucoup d’enfants qui oseraient tenir un tel discours devant un parent en stade terminal d’une maladie terrassante. Quoique…

Non, franchement, le début du chapitre 29, je m’en remets pas. J’allais le résumer mais je préfère que vous lisez par vous-même ce qu’elle déblatère à son père :

« — Tu te souviens de Cédric, le fils de Philomène ? J’ai couché avec lui. N’essaie pas de me lancer des éclairs avec tes yeux, j’ai vingt-huit ans, je ne suis plus vierge depuis longtemps. Mais, tu vois, ce qui est arrivé hier avec lui et ce qui se passe avec tous les garçons que je fréquente, ce n’est pas anodin. Tout ça, c’est à cause de toi. C’est ta façon d’être, et surtout de ne pas être, qui fait que je suis comme ça avec les hommes. Alors, je te préviens, ne meurs pas tout de suite, parce que ça y est, ma colère est prête à sortir et j’ai des choses à te dire. Et si tu venais à pousser ton dernier soupire maintenant, crois-moi, je le prendrais comme une lâcheté de ta part, et pas comme un abandon. »

Outre le complexe d’Œdipe patent et l’indécence de tous les propos tenus à son pov’ vieux de père, j’ai du mal à croire qu’une grown ass woman de 28 ans puisse discourir de la sorte sans se sentir ridicule. Tout ça, c’est à cause de toi ? Elle nous fait sa crise d’adolescence ? Je peux comprendre les problèmes de dépendances affectives que cela a pu lui engendrer dans sa vie de femme mais non, tu ne peux pas tenir ton père responsable de ta vie sexuelle chaotique. Si Rose a du mal à se refuser au premier venu qui lui donne un peu d’attention, elle devrait travailler sur elle-même voire se faire aider mais venir accuser son père, qui, pour la millième fois, agonise dans son lit aseptisé d’un pavillon médical et qui n’a rien à voir là-dedans, je trouve ça assez bas. C’est tout le souci de ce personnage mal construit car en plus d’être indifférente, Rose est totalement autocentrée. Elle ne fait que s’apitoyer sur elle-même en adoptant l’attitude d’une gamine entêtée.

« — Quand je suis arrivée le premier jour, j’ai suivi le conseil d’Amélia, celui de finir mes visites par une touche positive, et j’ai présumé que c’était pour toi qu’elle me priait de le faire. Pour ne pas que tu meurs sur un reproche ou une phrase méchante. Mais, en réalité, j’ai pris conscience que c’était pour moi. Parce que c’est à moi que ça fait du bien de trouver du positif […] »

Ah bon ? Parce que ce que j’entends – ce que je lis – depuis le début, c’est “moi je, moi je, moi je“. Assez drôle le décalage entre ce qu’elle n’arrête pas de répéter, des trucs du style “j’fais passer tout le monde avant moi, je suis transparente, je suis la laissée-pour-compte“ et ce qu’elle fait réellement, c’est-à-dire tout recentrer sur elle à chaque fois.
À un moment, vers la fin, elle dit quelque chose qui m’a grave fait tiqué : 

« Je ne me sens pas coupable. Je ne me sens plus coupable. »

Mais est-ce qu’on a lu le même livre ou euuuh… ?

À aucun moment, et je dis bien À AUCUN, Rose ne se sent coupable de quoi que ce soit. Quand j’vous dit que le décalage entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait (et même entre ce qu’elle disait et ce qu’elle dit maintenant) est énoooorme. La construction et le développement de l’héroïne est à revoir de A à Z. Pour preuve de mon analyse, 26 pages plus tard, je lis :

« Je suis venue te pointer du doigt, te désigner coupable de tout ce que je n’ai pas fait, de tout ce que j’ai mal fait. »

Merci donc de me confirmer que, fondamentalement, elle ne s’est jamais sentie coupable de rien. Et pourtant, elle aurait de quoi :

« — […] Elle ne va pas kidnapper mon père entre deux rondes de nuit pour fuguer en lune de miel en Papouasie, non ? »

Quel humour déplacé. En parlant de Mireille, c’est quand même le seul personnage qui remet judicieusement Rose à sa place quand elles se croisent au pavillon au début du livre (voir extrait ⬇️), et, comme par hasard, il a fallu que ce soit la méchante de l’histoire. Si Rose s’était intéressée un  tant soit peu à son père et son combat contre le cancer, Mireille n’aurait jamais eu quartier libre pour profiter de son argent. Y’a des portes qui mériteraient d’être balayées un peu plus. Si vous étiez sur votre lit de mort, vous préféreriez quoi entre une inconnue qui vous séduit pour mieux vous voler ou votre propre fille complètement indifférente à votre sort supplément cynisme ? Pour dire, Rose s’inquiète plus de ce qui pourrait arriver à ses nouveaux amis qu’à son pauvre vieux de daron :

« Je ne cesse de m’inquiéter de leur bien-être et de les remercier »

Comme pour le mot « coupable », j’ai tiqué sur « m’inquiéter ». À aucun moment, elle le dit pour son père mourant (j’ai écrit “à aucun moment“beaucoup trop de fois dans cette chronique haha). Pourtant, pour avoir vécu cette situation, j’peux vous dire que j’étais tellement inquiète que je n’en dormais plus la nuit. 

Et maintenant, il faut aborder le plus gros problème du personnage, problème qui concerne littéralement le fond de l’histoire : le processus de reconstruction (pour un personnage qui est d’emblée mal construit, le process est tué dans l’œuf). Comment passe-t-on à autre chose ? Comment guérit-on d’une enfance “difficile“ (obligée de mettre entre guillemets car l’enfance de Rose n’est vraiment pas that deep) ? En fait, Rose ne guérit pas vraiment puisque tout est vide dans ce personnage. Elle n’a rien à guérir, elle est trop indifférente à la situation pour ça. Le pire, c’est l’inflexion que l’autrice donne à l’histoire. Au lieu de laisser son héroïne se chercher, se trouver, se reconstruire par elle-même et éclore à nouveau, l’autrice axe le bien-être et la guérison de Rose autour de ses nouvelles rencontres. À un moment, l’héroïne remercie Amélia d’avoir changé sa vie et cette dernière lui répond que c’est d’elle-même qu’elle la change. C’est faux, si Rose n’avait jamais croisé Amélia, elle serait restée ce qu’elle a toujours été, à savoir une personne insignifiante (d’après ses propres dires). Rose n’est la source d’aucun changement, d’aucune motivation à se bouger, à s’améliorer. 
L’erreur ultime, c’est d’avoir mis un nouvel homme rapidement dans sa vie. Donc, on ne peut pas être heureuse toute seule ? L’amour pour un tiers est la réponse à tout ? Ce que j’veux dire, c’est que Rose est à un carrefour de son existence. Elle cherche littéralement le sens de sa vie, comme tellement de vingtenaires (je suis moi-même en plein dans cette phase actuellement). Chercher le sens de sa vie – de la vie –, trouver sa voie, guérir de vieilles blessures pour renaître à nouveau, partir à la quête de soi, se réinventer, ce sont des démarches tellement personnelles et intimes. Comment puis-je être enfin heureuse et en paix avec moi-même ? Dans ce roman, point d’introspection. Au lieu de cela, Rose se reconstruit autour de ses nouvelles relations et notamment celle amoureuse avec Mathias. La romance est le point faible du récit car il suggère que le bonheur ne découle pas de soi-même mais dépend des autres. Rose ne se reconstruit pas, elle trouve juste une béquille. 

Comme il est sympa ce papa. Comme il est touchant. Quand Rose s’en va vivre loin de son père après sa découverte pour l’accident, il lui arrive une galère. Elle doit se racheter une voiture mais sans le sou et en dernier recours, elle appelle celui qu’elle déteste tant, car malgré tout son ressentiment, toute sa colère, son père est bien la seule personne du monde à se soucier d’elle. Ça en dit long. De mauvaise foi, elle se dit qu’il ne lui enverra jamais l’argent, elle contient sa rage. Dans le même temps, son père qui n’avait pas les moyens, organise une cagnotte avec ses copains de comptoir pour lui envoyer avec un peu de retard 2000 euros. Ces parents qui feraient tout pour nous. Ça me bouleverse parce que ça me fait penser à mon père. Il était toujours là pour moi, le seul. Toujours. Il m’envoyait de l’argent sans que je lui en demande. Il était derrière moi, dans mon ombre, il me rattrapait avant même que je tombe. Et aujourd’hui il n’est plus là et je suis seule au monde.
Purée, je commence à sombrer. Revenons à notre propos. Rose quitte donc Chantilly pour ne plus jamais revoir son père après sa découverte. Elle est trop énervée contre lui pour lui en parler. Par contre, quand c’est pour lui demander de l’argent, c’est bon ? C’est pas très cohérent. La logique voudrait plutôt qu’elle veuille lui montrer qu’elle peut très bien se débrouiller sans lui. Deuxième remarque : le peu de considération qu’elle lui témoigne est navrant et c’est comme ça tout le long du livre. Rose est trop injuste avec son père qui essaye vraiment de faire du mieux qu’il peut. Elle le juge trop sévèrement. Comprenez pourquoi j’ai zéro empathie pour elle.
Alors, oui, en effet, il ne lui a pas appris à faire du vélo. Et donc ? Les p’tits de chez moi (oh, pourquoi j’ai commencé ma phrase comme ça ?? Maintenant j’ai envie d’écrire tout le refrain, j’vais l’avoir toute la journée dans la tête là), ils apprennent à faire du vélo entre eux. Comment peut-on résister à l’envie d’essayer son vélo tout neuf quand on est petit ? MJ Delfino n’a pas attendu son reup pour monter dessus !!!! Désolée mais l’anecdote du vélo est trop puérile, même pour toi, Rose !

Puis vient la fin, la fin des fins. Je suis très touchée par son papa qui met tout ce qu’il lui reste d’énergie à lui serrer la main pour lui montrer à quel point il l’aime. Quand il lui montre le petit bloc-note où il a écrit le prénom de sa fille dessus, j’tiens plus, je verse encore mes petites larmes. Je suis trop sensible à ce genre d’attentions.

Le truc qui m’a vraiment fait chavirer, c’est la photo à la pizzeria. Ça me touche qu’elle l’ait acheté et ça me touche que son père aussi l’ait acheté. Tellement de non-dits, d’amour non exprimé, de temps perdu, ça me rend profondément triste. Se rendre compte que son père était  finalement un homme bien quelques jours avant sa mort, c’est tragique.
Dans tous les cas, je suis contente que Rose aille pour le mieux et je sais que son père est heureux pour elle, c’est tout ce qui compte. Je dois admettre ne pas avoir adhéré au personnage mais j’apprécie les fins qui finissent plus bien et elle passe de pommée et apeurée à une femme qui a enfin trouvé sa voie et qui semble apaisée. 

Ce qui m’a bouleversé, c’est pas tant l’histoire mais la figure du père mourant. Cet homme qu’on a tant aimé, qui nous a tout donné. Cet homme grand et fort et indestructible, qui nous a toujours protégé. Cet homme qu’on respecte infiniment, et qu’on craint un petit peu aussi. Cet homme dont la parole est notre loi, l’autorité notre univers, l’amour notre salut. On le voit vieillir devant nous, rapetisser, grisonner. On apprend ses faiblesses et on se rend compte que ce n’était qu’un homme. Les plus malchanceux le verront devenir malade, perdre sa force, son énergie, devenir tout petit. Mais pour moi, il sera toujours le plus grand et le plus fort du monde. Mon père, mon père. 

J’ai beaucoup pensé à mon père lors de cette lecture. C’est peut-être aussi pour ça que je suis un peu dure. Ceci dit, ça faisait longtemps que je n’avais pas écrit une critique aussi longue. Mon kiff, c’est d’analyser mes lectures, annoter, détailler, décortiquer, citer. En somme, un vrai travail de critique littéraire, car oui, je suis une CRITIQUE LITTÉRAIRE. Mdr, j’adore le dire.

Pour finir, je dirais que j’ai adoré l’histoire du prénom de Rose. Je ne connaissais pas Chloris et j’aime cette manière de romancer les choses. C’est beau de voir qu’elle est naît dans l’amour. Ça m’a donné envie de visiter les jardins du château de Chantilly. Pour ce qui est de la ville de Chantilly, le portait tiré ne donne pas envie d’aller faire du tourisme. Est-ce que la vie là-bas est aussi merdique qu’elle en a l’air ?? Omg le patelin me fait trop reup ! 


Les extraits que j’ai choisis

Sa dernière chambre à lui, ma dernière chance à moi.

— Ce qu’on a été toute sa vie, reprend-elle, ça nous retombe dessus comme un gros orage inattendu au moment de passer par la petite porte. Le bien, le mal. On redevient tous pareils, face à la grande Faucheuse. Des mômes. On n’est jamais tout à fait prêt à passer de vie à trépas, tu vois. Et qui qu’on soit, on a le droit à un peu d’humanité avant de casser sa pipe. Parce que, quels que soient nos défauts ou nos qualités en ce bas monde, quand vient la fin, on est mort de trouille avant d’être mort tout court.

— Oh… Oui, bien sûr, mais… je ne sais pas, je me suis dit qu’on pourrait éventuellement boire un café un jour, que vous me parliez un peu de mon père, quand il était, euh… plus en forme. Mais c’est peut-être ridicule, je…
— Vous ne vous êtes pas souciée de lui ces dix dernières années. Alors oui, c’est sûrement ridicule. Mais, enfin, si ça vous chante. 

— […] Ça va te paraître complètement dingue, mais je la sens, la mort. Planer. De plus en plus proche. J’observe ses souffles qui s’allongent. Je vois sa respiration qui se stoppe, comme s’il faisait de l’apnée du sommeil. Je la connais par coeur, sa façon de respirer. Quand j’étais petite, chaque raté de sa respiration me faisait peur. Je me demandais s’il n’était pas en train de partir rejoindre ma mère. Parce que… parce que finalement, j’étais presque jalouse d’elle, cette femme que je ne connaissais pas et qui avait su rendre mon père si heureux, comme sur la photo que j’avais piquée dans l’album. J’étais jalouse parce qu’elle l’avait connu comme jamais je ne le connaîtrais. J’étais en colère contre elle parce que par sa faute, en mourant connement, elle avait éteint les étoiles des yeux de mon père. J’étais… il y a eu une longue période de ma vie où je lui en ai voulu, plus qu’à quiconque. Et tu sais, d’une certaine manière, ce sentiment n’a jamais vraiment disparu. Du moins jusqu’à ce que je m’en aille à six cents kilomètres d’ici. Je suis… je suis monstrueuse, non ?

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