L’Écume des Jours, Boris Vian
Présentation
« Le plus poignant des romans d’amour contemporains »,
a dit Raymond Queneau.
Mais aussi une fête du langage.
Entre ces deux pôles s’inscrit ce livre ambigu,
narquois et angoissant, où,
par le jeu même de la plus insidieuse fantaisie,
se découvre une secrète et douloureuse gravité
10/20
Chronicle
Par où commencer après avoir disparu pendant 1 an ? Je préviens d’entrée : cette “chronique“ n’aura aucun sens. Ce serait même mentir que dire que j’écris là une critique de L’Écume des Jours. Disons plutôt que cet article ne sera qu’un prétexte pour raconter un peu ma vie avec ce livre qui est resté dans le décor tout ce temps.
Si je reprends depuis l’année dernière, là où je me suis arrêtée, on se retrouve en avril 2024. C’est bientôt LE grand départ pour moi alors je voulais faire un grand ménage avant de partir à l’aventure. Une des tâches sur ma liste était de me débarrasser des quelques livres que j’avais accumulés au fil des années que ce soit dans le cadre de mes études ou comme ça par hasard. Je les fais reprendre sur des sites de seconde main et pour le reste, eh bien, je me demandais à qui je pouvais bien les refiler. Et ma mère, ce génie, me suggère tout simplement d’aller à la Croix Rouge, y’a des livres là-bas, ça va te plaire. Ma mère, c’est Alibaba en personne, elle a toujours un milliard de trucs qu’elle sort de je ne sais où, qu’elle redistribue à tout le quartier — à toute la ville, à toute la France et à tout le bled — et c’est une habituée de la Croix Rouge. Elle y va souvent pour déposer des trucs et parfois chiner quelques trouvailles. C’est la troqueuse originelle, la reine des brocantes et des encombrants 👑 J’admire beaucoup ma mère pour son coté débrouillard, c’est la personne la plus ingénieuse que je connaisse. On pourrait la foutre dehors sans rien et pieds nus qu’elle reviendrait le lendemain avec des gros sacs remplis de trésors venus d’autres galaxies. C’est parce qu’elle est généreuse, plus que je ne pourrais jamais l’être. Elle me dit toujours : « donnes, et dieu te donne ». Je me demande si je lui arriverais un jour à la cheville.
Sur les pas de ma mère, je prends le chemin de la Croix Rouge. Je dis à la dame que je suis venue déposer des livres et lui pose mon énorme sac devant elle. Elle me remercie généreusement et moi je la remercie de me remercier. Je fais un tour pour voir ce qu’il y a. Y’a pas mal de gens, chacun trouve son compte. Puis j’atterris devant l’étagère des livres. C’est donc ici que la vingtaine de bouquins que j’ai apportée finira. Pas mal. Je parcours le rayon. J’vois des titres qui m’intéressent, certains que je n’ai jamais eu l’occasion de lire, certains que je n’aurai jamais l’occasion de lire. Je partais dans quelques jours en Tunisie, je n’aurais pas le temps pour des gros volumes mais les petits pouvaient bien le faire. On a toujours besoin de lecture en attendant son vol. L’Écume des Jours. L’Alchimiste. Mouais.
— Madame, je peux vous les emprunter ? Je vous les rends dès que je les finis.
— Prends ce que tu veux.
Personne ne s’intéressait à ces pauvres livres, c’était sans compter sur moi, merci Maman.
Et voilà comment je me suis retrouvée à me trimballer ce foutu livre aux quatre coins du monde au fond de mon sac à dos. Je suis même obligée de faire une chronologie : je commence le livre fin avril 2024, je lis littéralement une page par mois (mai 2024 à mai 2025 a été la période la plus rocambolesque de ma vie, j’ai jamais été aussi busy et c’était juste incroyable, j’aimerais pouvoir mettre mes aventures à l’écrit, je veux passer tout ce mois d’août à le faire si j’ai pas trop la flemme 😩). Enfin, je termine le foutuuuu livre le 1er février 2025, soit dix mois plus tard (la blaaaaaaaague) dans notre taxi pour New Delhi aux environ de 13h (eh oui, j’ai visité l’Inde cette année et c’était un de mes meilleurs voyages ✨🕌). Et me revoilà encore, le 4 août 2025, six mois plus tard à écrire ce qui est là. Je suis vraiment morte de rire actuellement devant mon ordi face à tant d’audace. Je dois être la critique littéraire la plus unserious qui existe mais écoutez, c’est la funtty life que j’ai décidé de vivre et je ne regrette rien (siii, je regrette tout, j’ai oublié tout ce que je voulais dire, j’ai un million d’articles à écrire et 400 milliards de photos que je souhaiterais poster mais je suis tellement terrifiée par la masse de contenus que j’ai mis de côté que j’ose même plus aller sur mon blog. Comme d’habitude, je suis ma pire ennemie.)
J’avais déjà étudié des textes de Boris Vian lors de ma scolarité donc je savais que c’était un auteur plutôt avant-gardiste mais c’est la première fois que je lisais un de ses ouvrages intégralement. C’est la couverture qui m’a attiré, sobre et délicate comme le temps qui passe. Le titre est si poétique, c’est ma came alors ni une ni deux, je remercie la Croix Rouge et j’embarque le livre avec moi. Comment vous dire quelle n’a pas été ma surprise quand je m’aperçus que l’histoire était absurde ? Déjà à l’école, je n’aimais pas trop ce genre littéraire. Je n’apprécie pas beaucoup la littérature surréaliste mais disons qu’ici c’était l’occasion de redécouvrir le genre de mon propre point de vue.
Je continuais ma lecture mais je sentais que je devenais hermétique à l’écriture. Mon impression ne s’arrange pas quand je lis certaines phrases comme : « Il est, et c’est regrettable, advenu que des personnes peu scrupuleuses se sont mises à danser le biglemoi à la façon des Noirs, sur tempo rapide. » ou encore : « Alise et Chick, cependant, se livraient à une remarquable démonstration de biglemoi dans le style nègre. » ou ça aussi : « Nombreux étaient les cas d’évanouissement dus à l’exaltation intra-utérine qui s’emparait particulièrement du public féminin » Il serait malhonnête de ma part de juger l’auteurs sur ces quelques passages, ce n’est que le reflet de son époque (quoique le jazz, c’est de la black music donc j’vois pas trop où il veut en venir). Toutefois, j’en prends note.
Soudain, voilà que Chloé et Colin sont déjà mariés et je me dis que j’ai peut-être dû rater deux ou trois chapitres car comment on en était déjà arrivé là ? Je me souviens ensuite que l’histoire étant de toute façon absurde, y’avait pas vraiment à s’attarder sur les détails. Sauf peut-être ce passage qui a retenu mon attention :
« – Elles avaient quel âge ? demanda Colin insidieusement.
– Je ne sais pas, dit Nicolas. Mais, au toucher, je donnerais seize ans à l’une et dix-huit ans à l’autre.
– Tu as passé la nuit là-bas ? Demanda Colin.
– Euh !… dit Nicolas… Elles étaient toutes les trois un peu éméchées, alors… j’ai dû les mettre au lit. Le lit d’Isis est très grand… Il y avait encore une place. Je n’ai pas voulu vous réveiller, alors, j’ai dormi avec elles.
– Dormi ?… dit Chloé… Le lit devait être très dur parce que tu as bien mauvaise mine. »
Hum, okay donqueeuuuh l’interêt de ce passage ? C’est une critique du viol ? du détournement de mineur ? Je ne sais pas trop quoi faire de ce dialogue alors je pose ça là en attendant de voir si une belle âme pourrait m’expliquer le contexte derrière.
En revanche, pas besoin de contexte pour comprendre Colin. « Je n’aime pas le travail » qu’il nous dit, et nous aussi mon cher ! C’est un petit riche qui n’a jamais travaillé de sa vie mais qui se retrouve sans le sou lorsque sa femme tombe malade et doit alors chercher du travail pour subvenir à leurs besoins. J’aime la critique sociale que l’auteur fait du travail et du capitalisme à travers son personnage. Le travail moderne vide tout le sens qu’il y a dans notre vie, il aspire notre énergie vitale au profit de riches parasites qui vivent sur notre dos, il nous prive de notre liberté, étrique notre vision du monde, détruit notre dignité. Au début, on ne travaille que pour vivre – survivre -, puis on se met à vivre pour travailler. Oui, le travail est aliénant, qu’attendons-nous pour faire la chasse aux riches avant qu’ils réduisent notre monde à néant ?
Regardez donc ce qu’il arrive à Colin. Son monde implose progressivement. La lumière n’éclaire plus, l’obscurité s’infiltre de partout, sa maison rétrécit, bientôt il ne restera rien. J’apprécie que ce monde surréaliste soit à l’image des humeurs de nos héros. C’est tout en poésie.
Toutefois, moi je cherche encore la poigne du roman d’amour dont parle Raymond Queneau là-dedans. Je saisis la poésie du récit, les images dans les phrases et les jeux de mots ingénieux mais quand est-il de l’émotion ? Je ne ressens rien en lisant. Cette incroyable histoire d’amour entre Chloé et Colin, eh bien, je ne la vois pas, ou alors j’ai l’impression de ne la suivre que de loin sans qu’elle soit vraiment le sujet du livre, plutôt son objet. Je ne suis pas touchée par les états d’âmes des personnages. Ils sont bizarres et trop déconnectés de la réalité. En plus, ils sont interchangeable entre eux, ils n’ont pas de personnalité propre. Comment donc s’attacher à eux et suivre avec halètement leurs péripéties ?
Jusqu’à LA péripétie :
voir le spoil
Chloé est morte. Mais, encore une fois, elle est morte tellement vite ! Il n’y a même pas une petite scène d’adieu entre elle et Colin, rien du tout. On nous met juste devant le fait accompli comme si c’était un non événement et non pas le héros qui vient de perdre la femme de sa vie. On n’a même pas le droit à une ou deux pages sur les sentiments de Colin à ce moment-là. Mais finalement, ce n’est pas le plus intéressant, ce n’est même pas le fond du livre. J’ai beaucoup aimé le cynisme de la conversation entre Colin et le Chuiche, c’était franchement drôle. Il croyait quoi notre Colin, qu’il allait enterrer sa belle d’amour et d’eau fraîche ? Dans le capitalisme, la mort à un prix et la dignité c’est pas gratuit !Au final, le plus dramatique dans cette lecture, c’était sans doute le suicide de la souris 🐭 quelle tragédie !
J’arrive pas à croire que j’ai passé un an et demi avec ce bouquin à côté de moi. Non, en fait le plus dramatique dans cette lecture, c’était clairement comment je l’ai géré, pas la souris 😭
“Histoire d’amour“… Mouais, oui, okay, mais on repassera quand même. Je dois dire que j’ai plutôt apprécié cette lecture. J’sais pas pourquoi j’ai mis autant de temps à finir le livre, c’était très chaotique, absurde, à l’image du bouquin tout compte fait. Je n’oublierai pas tout le temps que j’ai passé à en écumer les pages, cette lecture s’est gravée dans mes souvenirs tout le long de cette année 🌊
Les extraits que j’ai choisis

— Vous avez raison, Nicolas. À votre avis, dois-je rencontrer l’âme sœur aujourd’hui ?… Je voudrais une âme sœur du type de votre nièce.
— Monsieur a tort de penser à ma nièce, dit Nicolas, puisqu’il appert des évènements récents que M. Chick a fait son choix le premier.
— Mais, Nicolas, dit Colin, j’ai tant envie d’être amoureux…
Une fumée légère s’échappa du bec de la bouilloire et Nicolas alla ouvrir. Le concierge montait deux lettres.
— Il y a du courrier ? dit Colin.
— Je m’excuse, Monsieur, dit Nicolas, mais les deux sont pour moi. Monsieur attend-il des nouvelles ?
— Je voudrais qu’une jeune fille m’écrivit, dit Colin. Je l’aimerais beaucoup.
— Il est midi, conclut Nicolas. Monsieur désire-t-il son petit déjeuner ? Il y a de la queue de bœuf broyée et un bol de punch aux aromates avec croûtons beurrés d’anchois.
— Nicolas, pourquoi Chick ne veut-il pas venir déjeuner avec votre nièce à moins que je n’invite une autre jeune fille ?
— Monsieur m’excusera, dit Nicolas, mais j’en ferais autant. Monsieur est certainement assez beau garçon…
— Nicolas, dit Colin, si ce soir je ne suis pas amoureux, pour de vrai, je… je collectionnerai les œuvres de la duchesse de Bovouard, pour faire pièce à mon ami Chick.

— Oh, évidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, mais, une fois qu’on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.
— Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C’est le temps qu’il doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travaill
— Ce n’est pas plutôt le contraire ? dit Chloé.
— Non, dit Colin. C’est très simple. Ça devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps à faire des choses qui s’usent…
— Mais, tu crois qu’ils n’aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à la piscine et au divertissements ?
— Non, dit Colin. Parce qu’ils n’y pensent pas.
—Mais, est-ce que c’est leur faute s’ils croient que c’est bien de travailler ?
— Non, dit Colin, ce n’est pas leur faute. C’est parce qu’on leur a dit : « Le travail, c’est sacré, c’est bien, c’est beau, c’est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement, on s’arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.
— Mais, alors, ils sont bêtes ? dit Chloé.
— Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ceux qui leur font croire que le travail c’est ce qu’il y a de mieux. Ça leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.
— Parlons d’autre chose, dit Chloé. C’est épuisant, ces sujets-là. Dis-moi si tu aimes mes cheveux…
