Terrienne, Jean-Claude Mourlevat
Présentation
Tout commence sur une route de campagne…Après avoir reçu un message de sa soeur, disparue depuis un an, Anne se lance à sa recherche et…passe de « l’autre côté ». Elle se retrouve dans un monde parallèle, un ailleurs dépourvu d’humanité, mais où elle rencontrera cependant des alliés inoubliables.
13/20
Chronicle
Jean-Claude Mourlevat est un des grands auteurs de mon enfance. J’ai lu tellement de livres de lui. Il y en a même un qui fait partie de ma genèse personnelle : La Rivière à l’Envers. J’ai lu ce petit roman quand j’avais onze ans. Je n’exagère même pas un peu quand je dis qu’il a changé ma vie. J’ai toujours aimé les livres mais, là, c’était le grand saut, le grand plongeon. Je n’en suis toujours pas revenue depuis. La lecture est un voyage sans retour. Je l’ai relu plusieurs fois au cours de mon adolescence, puis j’ai lu le tome d’Hannah aussi. Il y a quelques mois, j’ai offert l’intégrale à ma nièce Maïssa qui venait d’avoir onze ans. Je me demande si elle va aimer autant que j’ai adoré. Je me souviens même qu’un jour, je venais de finir Le Chagrin du Roi Mort, je devais avoir treize ans et j’avais tellement adoré que je m’étais mise dans la tête d’écrire une lettre à l’auteur pour le remercier de me faire voyager et lui dire à quel point ces livres comptaient pour moi. Mdr, j’étais vraiment une gosse bizarre (j’suis toujours bizarre, en fait, c’est ce qui fait ma FunkyAttitude). D’ailleurs, je n’ai jamais eu de réponse à ce jour 😭😅
Bref, Terrienne doit avoir quasi dix ans dans ma liste d’envies. J’étais trop impatiente de le lire ! Je me suis dit que j’allais retourner en enfance, que ça allait beaucoup me toucher. Dans un sens, c’était le cas mais je crois que je m’attendais pas à ça, en fait. Du coup, j’ai eu beaucoup de mal à noter ma lecture. Je trouve que 13 est assez dur, au début je m’orientais plutôt vers un 16-17 mais objectivement et comparativement à mes autres lectures, ce roman ne les vaut pas.
Un seul mot pour résumer mon expérience : bizarre.
Avant de développer sur mon ressenti, je pense que je devrais d’abord parler des points de lecture que j’ai notés.
Dès les premières pages, j’ai beaucoup aimé le côté français et ces noms de petites bourgades de province. C’était assez cool et c’est l’avantage de lire un auteur français. Mais c’est rapidement devenu un peu creepy. Une jeune fille de dix-sept ans qui fait du stop seule sur une route départementale de campagne…hum, on dirait le début d’un épisode de Faites Entrer l’Accusé.
J’adorais les livres de l’auteur plus jeune et même si le sujet ne m’inspirait pas forcément confiance, je me disais que ça ne pouvait qu’être bien pour la suite. Et en effet, j’ai adoré le début de l’histoire entre ce papy et cette mystérieuse jeune fille au soupçon de magie autour d’elle. Monsieur Virgil est totalement ce genre de personne âgée qui nous attendrissent et nous émeuvent à chaque geste (alors même que dans la vraie vie, une des premières questions qui me viendrait tout de suite à l’esprit en interagissant avec une personne âgée blanche est si elle est raciste ou pas, mais bon, passons). Ici, leur amitié et leur sincérité étaient touchantes. J’ai bien aimé la curiosité que l’un avait envers l’autre. Étienne s’embarque donc pour l’aventure à son tour, même si c’était assez fou à son âge et j’ai adoré qu’il réponde aux messages d’Anne et qu’il prenne sa décision sans même y réfléchir. D’ailleurs, c’était super flippant les messages de la radio en pleine nuit ! C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait une ambiance assez pesante avec cette fille bizarre dont on ne sait rien et qui disparaît je ne sais où.
En y réfléchissant, je pense même que c’est ça qui m’a peut-être inconforté dans cette lecture. J’ai beaucoup aimé l’histoire et l’écriture à la fois légère et pleine de sens. Mais je n’ai pas aimé l’ambiance un peu lourde, le temps pluvieux, la route de Campagne, les gens fades et ternes qui peuplent cet autre monde et leurs vies encore plus fades et ternes et qui n’ont aucun sens. Il y avait un côté un peu déprimant dans cette lecture, je dirais, et je n’étais pas d’humeur. L’expérience et la perception qu’on a d’un livre dépendent beaucoup du moment dans lequel on le lit, pour moi en tout cas. Je crois que ce n’était pas le bon moment pour le lire en plein mois de juillet, mais ça fait partie du jeu. Le gros rebondissement de l’histoire qui a signé le début de la déprime pour moi, c’est la
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mort catastrophique de Monsieur Virgil à laquelle on ne s’attend pas du tout ! J’étais si triste car il était tellement sympathique. C’est avec lui qu’on est entré dans l’histoire et je pensais qu’on finirait toute cette aventure avec lui. On n’en voudrait presque à Anne d’avoir attiré ce vieux monsieur dans ce monde si cruel. Mais sa mort, c’est aussi le tournant d’une autre amitié, un amour retrouvé qui refait surface et avec lequel elle va aller jusqu’au bout. J’ai tout de suite apprécié Bran et Torkensen. Et là encore, il a fallu que notre chéri Torkensen en laisse sa propre vie pour sauver celle de la soeur d’Anne. Une nouvelle fois, ça m’a déprimé. Il n’avait pas à mourir.Et finalement, tout est trop facile pour Anne et Bran qui se retrouvent et réussissent à quitter ce monde avec Gabrielle sans trop de problème. Par exemple, le personnage arrangeant par excellence c’est Stormiwell qui, coup de bol, a un mari – un compatible – qui se trouve être familier du désert d’Estrellas car il y travaille. Donc il peut courir au secours de nos trois acolytes qui sont perdus dedans. Les péripéties sont aussi beaucoup trop faciles, notamment à Estrellas où ils ont le temps de casser une fenêtre pour s’enfuir sans que personne ne le remarque et que personne ne leur court après. Ils s’en sortent trop bien et trop rapidement. En parallèle, les personnages secondaires doivent mourir pour eux afin d’ajouter un petit côté tragique mais eux, ils ne leur arrivent jamais rien.
Ce n’est pas tout : qui les suivait à l’hôtel et donc qui a tué Virgil ? Qui a jeté Stormiwell du cinquième étage ? Et pourquoi avoir épargné Anne à ce moment-là si l’inconnu savait que c’était une Terrienne ?
Malgré tout, j’ai bien reconnu le style de l’auteur après toutes ces années et ça m’a fait très plaisir de me plonger dans un de ses romans. Ils sont tous uniques, un peu hors du commun. Je n’avais pas fait attention mais j’ai d’ailleurs remarqué vers la fin du livre qu’on passe de la première à la troisième personne très naturellement. Ça ajoute aux sentiments de déroute et d’étrange et qui font toute l’ambiance du bouquin. Le passage avec la photo d’Étienne et de Madeleine à la fin étaient très émouvant, très joli. La vérité, c’est que j’suis beaucoup trop
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triste pour la mort d’Étienne, ça me gâcherait même un peu l’histoire et je trouve Anne égoïste de l’avoir embarqué là-dedans puis laissé mort là-bas.Ça m’a fait réfléchir. Je le fais sans y penser mais, en fait, j’adore sentir l’air sur mon visage et dans mes cheveux, et plus que tout, fermer les yeux et respirer.
Les extraits que j’ai choisis

Le vieil homme est écrivain. Je lui ai dit que je lui demanderais de l’aide en cas de besoin, alors que je le connais à peine. Mais à qui d’autre pourrais-je en demander ? La police est incompétente dans ces affaires qui ne sont plus terrestres, et les autres personnes, mes parents, mes amis, m’enverraient tout droit dans un établissement spécialisé. Il me semble que cet homme a la capacité de me comprendre. Peut-être fait-il partie de « ceux pour qui le monde n’est pas assez ». C’est une phrase que j’aime et que j’écrivais sur chaque bout de papier, au collège déjà. En anglais pour faire mieux : Those for whom the world is not enough. Aujourd’hui, je me contenterais bien du monde comme il est. Il serait enough. Il me suffirait.

— Oui…Oh, mon Dieu, mademoiselle, qu’est-ce que vous me faites dire ? C’est la première fois…je l’ai toujours gardé pour moi…Oui, c’est vrai, je suis une de ces enfants, mais cela remonte sans doute à plusieurs générations…Cet homme dont je descends et qui venait de chez vous est au moins mon arrière-grand-père…Vous voyez bien : je ne sais plus respirer…j’ai perdu cette merveille, respirer… et pourtant j’en sens encore la beauté…et je ne sais plus pleurer…sauf à l’intérieur…comme je le fais là en vous parlant, je pleure à l’intérieur de moi… Il ne me reste rien de votre monde…enfin, presque rien… juste une sorte de parenté qui fait que je vous reconnais au premier coup d’œil… rappelez-vous quand vous êtes arrivée… ce n’est pas seulement votre respiration comme je vous l’ai dit… c’est une inquiétude dans votre regard… une enveloppe invisible autour de votre corps…mais je la vois…je la sens…Et puis, il me reste autre chose de votre monde…la nostalgie, c’est le mot juste n’est-ce pas ? nostalgie…on ne l’emploie jamais ici, je l’ai appris dans les livres…Moi, j’ai la nostalgie de quelque chose que je n’ai jamais eu…et je pleure à l’intérieur de moi, vous comprenez ?

Les autres voyageurs s’étaient désactivés. Bientôt tous sombrèrent dans le sommeil, et il me resta plus en éveil que ces deux passagers assis tout à l’arrière : le vieil homme et la jeune fille, si différents l’un de l’autre, mais tous deux venus du même ailleurs. Un ailleurs vertigineusement lointain déjà et qui le devenait plus encore à chaque seconde, tandis que le train traçait comme une balle silencieuse dans le noir compact de la nuit.

Il avait toujours rêvé d’être sélectionné pour une mission terrestre, comme Ashelbi. Il n’était pas très doué, certes, et le savait bien. De plus, sa taille ne le prédisposait pas à la discrétion, mais on l’aurait peut-être accepté tout de même un jour, qui sait ? À présent, c’était une certitude : il n’irait jamais sur Terre. C’est pourquoi il prit ce regard marron de la Terrienne comme une consolation. Il mourrait en ayant vécu ça, au moins une fois, en vrai. Les images du film lui revinrent. Ah oui, il s’appelait Le Quai des brumes. Et l’acteur Jean Gabin. Et l’actrice Michèle Morgan. Il essaya de dire les mots comme Jean Gabin, mais il n’y arriva pas, alors il les dit en pensée : « T’as de beaux yeux, tu sais… » et la Terrienne dut les entendre puisqu’elle lui répondit de la même façon : « Embrasse-moi… » Alors, il l’embrassa. En pensée. De loin.
