La Confrérie de la Dague Noire, tome 11, J. R. Ward

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Chronicle

— Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ?
C’était tellement étrange. Qhuinn avait toujours eu l’impression d’être sorti du ventre de sa mère déjà adulte. Mais bon, il n’y avait pas eu de gazouillis pour lui, pas de « mon petit garçon chéri », pas de câlin quand il se faisait mal, pas de cajoleries quand il avait peur. Par conséquent, que ce soit son caractère ou la façon dont on l’avait élevé, il n’avait jamais régressé. Il n’y avait pas de retour en arrière possible.
Pourtant, ce fut avec la voix d’un enfant qu’il demanda :
— Peux-tu faire cesser cela ?
Comme si Blay seul avait le pouvoir de réaliser un miracle.
Et alors… c’est ce que fit son ami depuis toujours.
Blay ouvrit grand les bras, offrant à Qhuinn le seul refuge qu’il ait jamais connu.

Alors qu’il se tenait dans la pièce carrelée, avec cette désagréable odeur de désinfectant dans les narines et le rebord du plan de travail qui lui rentrait dans les fesses, il comprit qu’il avait commencé à aimer son enfant.
Ici, maintenant.
Un père se liait à sa progéniture, et par conséquent, son cœur s’ouvrit largement et absorba tout : l’engagement inhérent au fait d’essayer d’avoir un enfant, la terreur de le perdre qui, il était prêt à le parier, ne disparaîtrait jamais, la joie qu’il reste quelque chose de soi sur terre après sa propre disparition, l’impatience de le rencontrer en personne, le désir désespéré de le tenir dans ses bras, de le regarder dans les yeux et de lui donner tout l’amour qu’on avait à lui donner.
— Est-ce que c’est bon… Puis-je te toucher le ventre ? demanda-t-il d’une petite voix.
— Bien sûr ! Tu n’as pas besoin de le demander. (Layla se rallongea avec un sourire.) Ce qu’il y a là-dedans t’appartient à moitié, tu sais.
Qhuinn se frotta nerveusement les mains en s’approchant de la table d’examen. Il avait bien sûr touché Layla pendant ses chaleurs, et plus tard de façon attentionnée quand la situation l’avait exigé.
Mais il n’avait jamais pensé à toucher son bébé.
Qhuinn eut l’impression de voir de très loin sa main s’approcher. Seigneur, ses doigts tremblaient follement.
Mais ils s’immobilisèrent à l’instant où il les posa sur le ventre.
— Je suis là, dit-il. Papa est là. Je ne vais nulle part. je vais seulement attendre que tu sois prêt à sortir, puis ta mère et moi allons nous occuper de toi. Alors reste tranquille, d’accord ? Fais ce qu’il faut et nous t’attendrons aussi longtemps que nécessaire.
De sa main libre, il prit celle de Layla et la posa sur la sienne.
— Ta famille est là. Nous t’attendons…et nous t’aimons.
C’était totalement stupide de parler à ce qui, sans le moindre doute, n’était encore qu’un amas de cellules. Mais il ne pouvait s’en empêcher. Les mots, les actes…Il les revendiquait comme étant les siens à part entière, même s’ils venaient d’un endroit de son cœur qui lui était étranger.
Mais cela lui semblait juste.
Il avait l’impression de se comporter comme un père était censé le faire.

— […] Je ne voulais pas que tu saches à quel point c’était difficile chez moi, parce que je ne voulais pas que tu me prennes en pitié. Je ne voulais pas que toi ou tes parents vous sentiez obliger de me recueillir. Je voulais que tu sois mon ami, et tu l’étais. Tu l’as toujours été.
Blay détourna immédiatement la tête. Puis il se frotta le visage de la main qui ne tenait pas de cigarette.
Qhuinn s’entendit poursuivre :
— C’est grâce à vous si j’ai tenu le coup. Je vivais pour les nuits où je pouvais venir chez toi. C’était la seule chose qui me faisait avancer. Tu étais la seule chose, en fait. C’était…toi.

D’un seul coup, il repensa à cette nuit où il était rentré et avait vu son père offrir cette chevalière en or à son frère.
— Merci d’avoir appelé cette nuit-là, ajouta-t-il d’un ton bourru.
Blay haussa les épaules.
— Quelle nuit ?
Qhuinn se racla gorge.
— Après que Luchas a passé la transition et que mon père lui a donné…tu sais, la bague. (Il secoua la tête.) Je suis monté dans ma chambre et j’allais faire quelque chose…oui, quelque chose de vraiment stupide. Tu m’as appelé. Tu es venu. Est-ce que tu te rappelles ?
— Oui.
— Ce n’est pas la seule fois que tu as fait quelque chose de ce genre.
Quand Blay leva la tête, Qhuinn sut exactement ce que pensait son ami. Oui, cette nuit n’avait pas été la seule falaise du haut de laquelle il avait failli sauter.
— Je t’ai dit que j’étais désolé, reprit Qhuinn. Mais ne je crois pas t’avoir dit merci. Donc, voilà…merci.
Avant de savoir ce qu’il faisait, il tendit la main, offrant sa paume. Il lui semblait approprié de marquer cet instant, ici et maintenant, devant la salle d’opération <spoiler>où gisait son frère massacré</spoiler>, par une sorte de contact solennel.
— Merci…c’est tout.

— Je t’aime depuis des années. Je suis amoureux de toi depuis des années et des années…tout au long de l’école et de l’entraînement…avant nos transitions et après…quand tu m’as approché et, oui, même aujourd’hui encore, alors que tu es en couple avec Saxton et que tu feins de m’ignorer lorsqu’on se croise. Et ce…merdier…dans ma foutue tête m’a emprisonné, a tout verrouillé…et cela m’a coûté ton amour.
Alors que le bruit d’un crissement de pneus retentissait aux oreilles de Blay et que l’univers se mettait à tournoyer, Qhuinn se contenta de poursuivre.
— Alors excuse-moi si je ne suis pas d’accord avec toi. Ça ne va pas bien – ce ne sera jamais le cas – et tandis que je suis tout à fait disposé à supporter le fait que j’ai vécu un mensonge pendant des décennies, l’idée que cela a sacrifié ce qui aurait pu exister entre nous…ne me convient absolument, totalement pas.