La Prisonnière du Djebel, Didier Daeninckx
Présentation
Pendant cinquante ans, Gilbert a gardé le silence. Il n’a jamais osé dire à ses proches qu’il avait servi dans l’armée pendant la guerre d’Algérie. Mais un jour son petit-fils Eric trouve un paquet contenant un pistolet, de vieilles cartes postales d’Algérie, et une photo jaunie : dessus, un jeune soldat, armé d’une mitraillette, garde une femme attachée au soleil. Le soldat a les trait d’Eric… et ceux de son grand-père. Alors, petit à petit, Gilbert va être amené à raconter sa guerre. Et il finira par dévoiler le secret de la prisonnière de la photo.
Roman sur le silence et la mémoire de la guerre, La Prisonnière du djebel rend hommage à ceux qui ont choisi de désobéir à leurs chefs pour obéir à leur conscience.
Chronicle
Un livre écrit en mémoire d’une histoire, une facette très obscure et occulte de la République Française.
C’est un petit roman d’une cinquantaine de pages (écrit gros en plus) et quand je l’ai vu, je me suis d’abord dit que c’est plutôt réservé aux enfants dû à la couverture colorée. Mais loin de là. Je pense que pour appréhender la sphère de réflexion qu’ouvre ce livre sur son passage, il faut être adulte ou du moins conscient des réalités du monde – et avoir une bonne culture générale à propos de la Guerre d’Algérie.
Cette histoire-là raconte un événement particulier qui aurait pu arriver (et qui a sûrement dû arriver) à tout soldat français.
C’est court, ça va à l’essentiel, c’est percutant. J’ai pleuré : pour les algériens, pour les soldats, pour l’injustice, pour la torture, pour les ordres, pour la honte, pour la guerre, pour les hommes.
Parler de la Guerre d’Algérie, c’est difficile, très douloureux et c’est un tabou en France encore aujourd’hui (c’était peut-être tabou il y a quelques années mais, en réalité, la montée du racisme décomplexé (merci l’anonymat des réseaux sociaux) amène aujourd’hui à des réécritures de l’histoire parfaitement indécente, bon dieu ce que je fous dans ce pays ?!) La Marianne là, elle a pleins de petits points noirs sur le buste, bon, des grains de beauté on va dire (enfin beauté… laideur plutôt). Mais la Guerre d’Algérie, les « événements d’Algérie », c’est une grosse cicatrice dégueulasse dans le cœur de la République.
Heureusement qu’il existe des héros. Des soldats qui ont le courage de déserter par fidélité à leurs valeurs et à leurs idées là où le gouvernement les force à commettre les pires inhumanités qui soient.
En souvenir des innocents, des enfants, des combattants, des héros, des hommes et des femmes qui ont dit non. Et qui sont morts pour la liberté.
Update : Je relis cette chronique que j’ai écrite il y a de ça 8 ans aujourd’hui et j’peux pas m’empêcher de me demander ce que je penserais de ce livre si je l’avais lu maintenant. Mdr, j’étais encore gentille à cette époque : “Heureusement qu’il existe des héros. Des soldats qui ont le courage de déserter par fidélité à leurs valeurs et à leurs idées »… qu’ils aillent tous se faire foutre en enfer, ouais.
Les extraits que j’ai choisis

» Nous sommes arrivés au moment où des militaires se saisissaient de Henri Maillot. Ils se sont dirigés vers un petit pont. Plus loin, masqué par une broussaille d’épineux, un berger a immobilisé son troupeau. Un soldat a braqué sa mitraillette sur le prisonnier.
— Et maintenant, tu vas crier « Vive la France ! »
Il avait compris depuis longtemps ce qui l’attendait. Il a gonflé sa poitrine pour la dernière fois.
— Vive l’Algérie indépendante !
J’ai fermé les yeux au moment où la rafale a déchiré le silence. Maillot avait cessé de vivre quand je les ai rouverts. »

— Le mot le plus souvent prononcé, c’était torture, et une phrase revenait en boucle : « on ne pouvait pas faire autrement, c’était les ordres. » C’était la première fois qu’ils se confiaient, et plusieurs se demandaient ce que leurs enfants, leurs petits-enfants allaient penser d’eux… Ils avaient peur de passer pour des monstres.

— On a vite compris ce qui nous attendait quand, à peine débarqués sur les quais d’Alger, ils ont rempli le bateau du retour avec les civières et cercueils de ceux qui nous avaient précédés.

— On n’y comprenait rien, on savait simplement qu’on était les bons et qu’eux, c’étaient les méchants.

« C’est ce jour-là que j’ai commencé à me dire que tout cela était absurde, qu’on tuait un peuple pour le convaincre qu’on était venu le protéger. Le ver était dans le fruit… C’est le type même de réflexion qu’il faut chasser de son esprit dès qu’elle y prend naissance. Sinon, elle contamine tout le reste. »

— Le pire, c’est le nombre d’enfants aveugles. Il y en avait un groupe de sept ou huit dont le plus vieux avait tout juste 10 ans… Il se tenaient les uns aux autres, en file indienne pour aller mendier aux villages… Il paraît que ça fait rire les militaires. »
J’étais incapable de répondre à ses critiques.
