Le Pacte des Marchombres, tome 1, Pierre Bottero
Présentation
« — Ellana, la voie des marchombres ne t’apportera ni richesse ni consécration, elle t’offrira en revanche un trésor que les hommes ont oublié : ta liberté. Si tu le désires, je peux accompagner tes premiers pas.
— Que voulez-vous dire ? »
17/20
Chronicle
Un retour aux sources. Un plongeon dans l’enfance. Je n’arrêtais pas de me dire en lisant que waouh, j’aurais adoré ce livre à treize ans ! C’est sûr, il m’aurait beaucoup marqué ! Et j’ai beaucoup aimé cette lecture aujourd’hui aussi, c’était assez spécial ce sentiment d’enfance que j’ai ressenti tout le long. La forêt des Petits au début m’a tout de suite fait penser à Tobie Lolness, un des grands grands grands livre de mon enfance. Ça doit déjà faire douze/treize ans que j’ai lu les aventures de Tobie, mais je m’en souviens. C’est le genre de livres qu’on n’oublie jamais, surtout quand on est un enfant. Le Pacte des Marchombres fait partie de ce genre de livres. Mince, on grandit tellement vite.
En parlant de grandir vite, dès qu’Ellana sort du monde des Petits pour rejoindre le monde des humains, on assiste à sa transformation en jeune femme. La Forêt Maison symbolise l’âge de l’enfance qu’on a irrémédiablement envie de quitter un jour pour découvrir ce qu’est la vraie vie. La transition d’Ellana d’enfant à jeune femme est assez bien menée globalement même si j’ai trouvé qu’elle grandissait peut-être un peu trop rapidement. Par exemple, le fait que les Petits et sa vie d’avant ne lui manque pas vraiment me paraît pas très réaliste. Elle a passé toute son enfance donc toute sa vie dans ce seul endroit. Je me serais attendue à plus d’émotions de sa part.
Ellana, avant même de devenir marchombre, a déjà l’âme d’une marchombre. Toutefois, une adolescente qui n’a jamais tué auparavant, qui vivait très pacifiquement chez les Petits et qui d’un coup mène des missions commando où elle assassine deux personnes de sang-froid m’a paru saugrenu. Ces deux personnes le méritaient peut-être, ce n’est pas à moi d’en juger et de toute façon j’suis contre le meurtre (mdr merci de préciser Amel), mais c’est pas le propos. Encore une fois, je me serais attendue à plus d’émotions de sa part ou à une remise en question. Tuer quelqu’un, surtout quand c’est la première fois, ce n’est pas anodin. Puis on ne passe pas de courir dans les arbres toute sa vie à tueuse sans pitié d’un coup. L’auteur aurait pu développer ce passage. En fait, je trouve qu’Ellana manque d’émotion en général. Pour moi, toute la psychologie du personnage est à développer dans les prochains tomes.
Ça ne m’a pas pour autant empêcher de l’apprécier. C’est l’héroïne par excellence. Elle a l’âme d’une marchombre avant même de devenir ni même de savoir ce que c’est d’en être un. J’ai été amenée à penser au fil de ma lecture que ses parents étaient des marchombres eux aussi, d’où le fait que Sayanel la “reconnaît“ quand il la voit la première fois et que Jilano accourt pour la former. Le problème, c’est que si ses parents sont des marchombres, pourquoi emmèneraient-ils Ellana bébé dans un expédition aussi périlleuse ? J’ai hâte de connaître la suite pour percer le secret de ses origines.
J’ai apprécié tous les personnages également. Nillem est particulièrement intéressant. Le fait qu’il
voir le spoil
ne reçoit pas la greffe et qu’il soit rongé de jalousie (même s’il cherche à le cacher) des lames à la Wolverine qu’Ellana a reçues de la montagne promet une suite entre déchirement et trahison. D’ailleurs, ma théorie est que les mercenaires du Chaos n’auraient jamais fait de mal à Nillem. Au contraire, ils veulent qu’il les rejoigne. Mais comment ont-ils su qu’il avait une faille ?Ça, c’est toute la question.
Quoi qu’il en soit, c’est une belle lecture, très poétique. J’ai beaucoup apprécié le moment dans le désert. J’ai toujours dit que le Sahara était un lieu profondément mystique et hors du temps. Ici, on le ressent bien dans le désert que traversent Ellana et Nillem. J’ai grave tiqué sur le mot “vespéral“. J’adore ce terme que je trouve très poétique à lui tout seul pour décrire la nuit et ça m’a fait sourire de le retrouver dans ma lecture. J’aime bien. Même les dix rêves pour un Marchombre et un Petit sont sublimes. Je crois que je penche plus vers les rêves des marchombres mais des vingt listés, mon préféré c’est regarder se lever la lune. C’est si beau.
Les bonus lecture après l’épilogue comme les dix rêves etc. essayent de nous expliquer plus en profondeur ce qu’est la voie marchombre. Les objectifs du marchombre sont l’harmonie, les limites et la vérité. C’est très spirituel. L’harmonie, les limites, la vérité ; en fait, c’est le sens de la vie : c’est la religion. Il n’y a que la religion qui mène à la liberté de l’esprit.
Enfin, il y a le tout dernier chapitre “Voyage“ où l’auteur s’insère dans sa propre histoire et par là, la rend encore plus authentique. C’est une belle ode à l’écriture. Moi, j’adore lire, moins écrire mais je comprends et je me sens assez proche de l’auteur dans ce plaisir infini.
Voilà. Très poétique, très bien conté. Ce n’est même pas pour l’action ou l’intrigue mais toute l’ambiance que dégage le livre par sa poésie. C’est ce genre de bouquin qui me rappelle pourquoi j’adore lire. J’ai eu la chance de trouver la porte très jeune. J’ai adoré ce plongeon dans l’enfance.
Les extraits que j’ai retenus

— Écoute-moi, ma princesse. Écoute-moi plus attentivement que tu ne m’as jamais écoutée.
Malgré la terreur qui broyait son ventre, sa voix était calme et douce. Apaisante.
— Tu vas te cacher là-dedans, poursuivit-elle.
— Pourquoi ?
Une question simple, sans la moindre trace de tension.
— Parce que les monstres qui arrivent sont très méchants.
— Tu vas te cacher avec moi ?
— Non, je suis bien trop grande. Toi tu vas te cacher et lorsque j’aurai fermé la trappe, tu ne feras plus le moindre bruit.
Isaya savait qu’il était inutile d’exiger quoi que ce soit de sa fille. Elle ne suivrait ses recommandations que si elle en comprenait le bien-fondé.
— Tu n’auras le droit de bouger que si tu n’entends plus rien pendant un très très long moment. Aussi long qu’une nuit entière.
— Ça fait vraiment long. Tu seras où, toi ?
— Je ne sais pas, répondit Isaya en souriant. Je vais peut-être être obligée de partir et de te laisser seule mais tu n’auras pas peur, n’est-ce pas ? Tu es grande, tu ne pleureras pas.
— Tu reviendras quand ?
— Il y a deux réponses à ta question. Comme à toutes les questions, tu le sais bien. Je commence par laquelle ?
À l’extérieur, un bruit terrifiant s’éleva. Le bruit des armes qui s’entrechoquent, fendent la chair, donnent la mort. La fillette tressaillit mais sa mère, en lui caressant la joue, réussit à l’enfermer dans l’univers de son regard.
— Laquelle ?
— Celle du savant.
— Je ne reviendrai peut-être jamais, ma princesse.
— elle est nulle cette réponse. Donne-moi celle du poète.
Isaya se pencha pour la lui murmurer à l’oreille.
— Je serai toujours avec toi. Où que tu te trouves, quoi que tu fasses, je serai là. Toujours.
Elle avait placé la main sur sa poitrine. La petite la regarda avec attention.
— Dans mon cœur ?
— Oui.
— D’accord.
Aidée par sa mère, elle s’allongea dans la cachette. Un hurlement d’agonie retentit à quelques mètres d’elles.
— Maman…
Il n’était plus temps de discuter, plus temps d’expliquer. Les bruits de combat étaient proches, le chariot tangua une première fois.
— Tu te souviens, ma princesse ? Silence et patience.

Les humains étaient décidément bien compliqués. Sauf qu’il fallait qu’elle cesse de songer aux Humains comme à des étrangers.
Elle était une Humaine, pas une Petite.
Cette pensée, qui l’avait accompagnée tout au long de ces derniers mois, prit soudain les couleurs et le relief d’une certitude.
Elle était humaine.
Il ne lui restait plus qu’une seule chose à régler pour que la page soit tournée.
Définitivement.
Elle sourit à Nahis.
— C’est vrai que Ipiutiminelle n’est pas vraiment un prénom. Tu n’en as pas un autre à me proposer ?
La petite fille mit quelques secondes à comprendre le sens de la question, puis elle sourit en retour et, après une brève hésitation, l’attira à elle pour lui murmurer un mot à l’oreille.
— C’est…C’était le prénom de ma maman avant que…je n’aie plus de maman, ajouta-t-elle à voix haute. Si tu le veux, je te le donne.
— Je l’accepte volontiers, répondit Ipiu avec gravité. Il est très beau.
Nahis battit des mains d’un air ravi puis se tourna vers la salle. Elle porta les doigts à sa bouche et poussa un sifflement strident qui couvrit le vacarme des conversations. Le silence s’installa.
— Moi j’avais pas envie qu’Heirmag me coupe la main, commença Nahis. Je trouve qu’on a pas le droit de couper la main des gens. Parce que ça doit faire très mal.
Les enfants acquiescèrent avec ferveur.
— Mais lui, il voulait quand même me la couper.
Elle désignait Heirmag qui s’était recroquevillé dans un coin et geignait doucement. Quelques lazzi timides s’élevèrent.
— Heureusement, elle, elle m’a défendue.
Tous les regards se tournèrent vers Ipiu.
— Alors, pour la remercier, je lui ai offert le prénom de ma maman.
Les enfants étaient suspendus aux lèvres de Nahis.
— Maintenant, elle s’appelle Ellana !

— Je suis capable d’escalader toutes les tours de la ville, de défaire à mains nus n’importe quel adversaire, de toucher une cible à quinze mètres avec un poignard et à cent avec une flèche, je sais crocheter une serrure, me déplacer en silence, je peux…
— Tu fais surtout preuve de prétention.
Ellana s’empourpra. Elle aurait volontiers changé de sujet, mais il ne lui en laissa pas l’opportunité.
— Les tours d’Al-Far ne sont pas si hautes que ça et tu ne connais rien à l’escalade en falaise. Tu te débrouilles face à un adversaire du genre pilier de taverne ou tire-bourse éméché mais tu n’as jamais affronté un combattant digne de ce nom. Tu es habile au tir, c’est vrai. Uniquement dans des conditions idéales. Toucherais-tu ta cible dans une mêlée ou, mieux, de nuit et dans la précipitation ? Les serrures que tu as ouvertes étaient d’une ridicule simplicité et ce que tu appelles silence est aussi bruyant que le mugissement d’une tempête aux oreilles de celui qui sait écouter.
C’est la première fois que Jilano lui parlait aussi durement et Ellana se recroquevilla. Il la toisa avec sévérité.
— Tu es douée, et je ne peux que te féliciter de tes progrès. Sache néanmoins que la voie des marchombres est très longue, et que tu te tiens juste à son orée. La légende d’Ellundril Chariakin, chevaucheuse de brume, rapporte les derniers mots qu’elle aurait prononcés avant de disparaître : « Je vais enfin commencer à apprendre. »
Il lui souleva le menton, l’obligeant à le regarder dans les yeux.
— N’oublie jamais, celui qui croit savoir n’apprend plus.
Cette première leçon se grava en lettres de feu dans la mémoire d’Ellana.

❤️❤️❤️
— J’ai changé d’avis, lui annonça-t-elle.
— À propos de quoi ?
— J’aime le sable.
Il la contempla un instant en silence. Les traits marqués par la fatigue, la peau brunie par le soleil, elle était belle. Sauvage et belle. Il faillit tendre la main vers elle, puis renonça. Il n’avait pas envie d’être repoussé une deuxième fois. Alors, du bout du doigt, il traça quelques mots sur le flanc de la dune où ils étaient assis.
Crête de sable à perte de vue
Regards entrelacés
Éternité.
Ellana sourit. C’était la première fois que Nillem se hasardait à la poésie marchombre devant elle. Son propre poème jaillit sans qu’elle ait besoin d’y réfléchir.
Sculpture d’ocre dans le désert
Partage épuré
Éphémère.
Comme pour lui donner raison, un souffle de vent chaud balaya à la dune, effaçant les lettres et les mots. Nillem offrit sa main pour l’aider à se lever. Elle la prit et, lorsqu’ils se mirent en marche, elle ne la lâcha pas.
Ils avancèrent en échangeant de rares paroles jusqu’à ce qu’un étrange changement de luminosité les fît s’arrêter et se retourner. Le soleil se couchait avec une majesté presque surnaturelle. Le ciel le ciel se para de couleurs merveilleuses et, pendant quelques minutes, le désert lui-même s’embrasa d’écarlate. Puis la nuit fut là, si soudaine qu’Ellana en sursauta presque.
— Que dirais-tu de continuer à marcher ? proposa Nillem. Nous ne pouvons pas faire de feu et les nuits, ici, sont réputées glaciales. Avec la lune il y a assez de lumière pour que nous puissions avancer et nous nous guideront aux étoiles.
— D’accord, répondit-elle.
Nillem avait dit vrai. Bientôt ils enfilèrent leurs ponchos et, malgré la protection qu’ils leur offraient, ils continuèrent à frissonner. Avec la nuit, le désert avez changé d’apparence, gagnant en mystère ce qu’il perdait en somptuosité. Ellana avait le sentiment de se gorger de beauté. Elle avait lâché la main de Nillem mais le savait proche. Elle ne ressentait toujours pas de fatigue et avait perdu toute notion de la distance parcourue. Elle était profondément heureuse.


