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Humaine, je n’avais brillé en rien. Je m’étais débrouillée pour gérer Renée, mais des tas de gens s’en seraient sans doute mieux tirés que moi; ainsi, Phil paraissait très à l’aise. J’avais été bonne élève, jamais première. Naturellement, j’étais tout sauf douée en sport. Je n’avais aucun talent artistique ni musical, rien dont je puisse me vanter. Personne ne m’avait jamais récompensée parce que je lisais beaucoup. Au bout de dix-huit années de médiocrité, je m’étais habituée à être moyenne. Je me rendais compte à présent que j’avais renoncé depuis longtemps à aspirer à l’éclat en quelque domaine que ce fut. Je faisais de mon mieux avec ce que j’avais, tout simplement, sans être jamais complètement adaptée à mon monde.
A présent, c’était très différent. J’étais « stupéfiante », à leurs yeux comme aux miens. Comme si j’avais été destinée à devenir vampire. L’idée m’amusa, me donna envie de chanter. J’avais enfin trouvé ma vraie place dans l’univers; je n’étais plus décalée; j’y brillais.
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Elle s’installe juste à côté de moi comme si elle était ma mamie.
— Pourquoi tu n’es pas à l’école ? demande-t-elle enfin, même si j’ai retiré mon uniforme.
Elle appelle son caniche et lui donne des morceaux de Pim’s à l’orange.
— Je ne suis pas une ordure.
Ma voix sonne creux, plus vieille que moi. Je voulais dire que je n’étais pas ce « genre d’ordure ».
— Je t’ai vu lâcher ton Tetra-Pack, dit-elle.
— Il était pas à moi.
— Ça m’est égal.
Puis, d’une voix plus douce, elle insiste :
— Pourquoi l’as-tu ramassé avant de le jeter par terre ?
— Je ne ramasse plus les saletés des autres pour les mettre à la poubelle à leur place.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Je m’arrête là. Un mot de plus, et je risquerais de tout déballer.
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Je commence à penser qu’être ici, c’est ma façon de donner un grand coup de pied dans une palissade avec un chien méchant derrière. Puis les étoiles apparaissent et je n’en reviens pas de voir à quel point elles brillent. La brise a effacé les nuages. Les étoiles me semblent toutes proches.
La panique s’écoule de moi, laissant ma tête vide. Mais maintenant tout est clair. Je remonte le sac de couchage à taches par-dessus mon menton. Soudain, je suis totalement content d’être ici à trembler de froid dans ce vieux duvet. Je sais que je peux disparaître et être absorbé dedans, comme quand je faisais des ricochets ou que j’entassais des briques. Je n’aurais plus jamais à me rappeler quoi que ce soit, jamais jamais. Je pourrais rester ici à frissonner dans ce vieux sac de couchage à taches parce que ça n’aurait pas d’importance. Parce qu’en-dedans, c’est moi et pas lui. Je pourrais prendre sa place. Et tout irait bien quand même, parce qu’il saurait comment empêcher mon père de se sentir obligé de compter et de recompter tout et n’importe quoi et ma mère de se sentir obligée d’être angoissée à l’idée de ne pas être une bonne mère et il sauverait Angela de tous les trucs susceptibles de l’écrabouiller. Toutes ces choses seraient possibles et continueraient à être possibles parce que je frisonne ici dans ce vieux sac de couchage à taches à rêver les étoiles pour l’éternité.
Toutes ces pensées folles me traversent en faisant des ricochets. Les trucs qui ricochent ont toujours l’air de savoir où ils vont jusqu’à la seconde précise où ils font « floc ! »
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— Seulement, je ne comprenais pas quand je t’ai rencontrée. Après vos premiers Jeux, je croyais que votre histoire n’était qu’une mise en scène de votre part. Tout le monde s’attendait à vous voir poursuivre cette stratégie. Mais quand Peeta a heurté le champ de force et failli mourir, j’ai…
Finnick hésite.
Je repense à l’arène. Au moment où j’ai éclaté en sanglots quand Finnick a ranimé Peeta. A son expression perplexe. A la façon dont il a mis mon comportement sur le compte de ma prétendue grossesse.
— Tu as quoi ?
— J’ai compris que je t’avais mal jugée. Que tu l’aimes pour de bon. De quelle façon, je n’en sais rien. Je ne suis pas sûr que tu le saches toi-même. Mais il suffit de t’observer pour voir à quel point tu tiens à lui, me dit-il avec douceur.
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Puck et moi menons Corr sur les falaises sous un ciel d’un bleu de nuit. Puck a une expression farouche et intrépide, telle une petite embarcation sur une mer incertaine. Au-dessus de nous luit la même lune que jadis.
Je revois les jointures blanches de la main de mon père sur mon bras. « Reste tranquille ! »
Debout près de Corr, Puck lève la tête et le regarde.
Je veux qu’elle l’aime.
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— Dan, on a déjà parlé de tout ça…
— Oui, mais je commence à comprendre ton petit jeu, a poursuivi Dan. McAuley est mené par l’avidité, l’arrogance et le désir de pouvoir mais toi, c’est différent.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Dan m’a observé comme s’il venait d’avoir une révélation.
— Tout a commencé le jour où Callie a été blessé. Et peut-être même que tu as réussi à te convaincre que c’est pour elle que tu fais tout ça. Mais ce n’est plus vrai, n’est-ce pas ?
— Je ne sais pas de quoi tu parles, ai-je grondé.
Je n’étais plus sûr de vouloir le savoir.
— Ca n’a plus rien à voir avec Callie. Ca n’a rien à voir avec Jessica. Ca n’a même rien à voir avec moi. Maintenant, il ne s’agit plus que de toi.
— Tu es pathétique, ai-je ricané. Alors, c’est le moyen que tu as trouvé pour continuer à te regarder dans un miroir ? Rejeter la faute sur les autres ?
— Pour ta sœur, tu serais venu me casser la gueule bien avant. Pour Callie, tu t’en serais pris à moi tout de suite en sortant de l’hôpital. C’est ce que moi j’aurais fait.
— Peut-être que je ne l’ai pas fait parce que je ne te tiens pas pour responsable, ai-je tenté.
— Mais si, insisté Dan. Tu m’en veux. Pas seulement à moi, mais à toi aussi. Et tu m’utilises pour parvenir à tes fins. Pour ta vengeance.
Faux. Ca n’avait rien à voir avec moi et tout avec Callie. C’est pour elle que je m’inquiétais. C’est pour elle que je faisais tout ça…
— Alors parce que je n’ai pas réagi comme tu l’aurais fait, ça veut dire que je me fiche de ma sœur ou de Callie ? ai-je lancé en colère. Tu racontes que des conneries Dan.
Dan a secoué la tête.
— Ca te suffit pas, hein ? Tu retires beaucoup trop de satisfaction de cette histoire. Tu commences à apprécier de tirer les ficelles et nous sommes tous… comment dit-on déjà, des jouets entre tes mains. C’est ce qui te rend si dangereux.
Il a eu un rire amer.
— McAuley n’a pas idée de ce qui l’attend !
— Dan, tu trompes…
Je me suis tu. Je ne savais pas quoi dire.
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— Tobey, tu sais ce que tu es ?
— Quoi ?
— Tobey a tourné la tête vers moi. On aurait dit qu’il était soudainement… nerveux.
J’ai murmuré :
— Tu es mon réparateur de choses cassées.
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De tous mes enfants, Jude avait été le plus affectueux, le plus démonstratif de son amour. Mais en grandissant, il était devenu d’une intense sensibilité. La sensibilité et l’idéalisme sont une combinaison dangereuse.
Il avait ressenti plus que les autres les attitudes déplacées, les erreurs de jugement, la condescendance qu’on lui réservait. L’amour était toujours présent, mais le rire n’était plus aussi spontané. Jude n’avait alors que dix ou onze ans. Comme il aimait lire ! Et écrire. Et étudier. Il courait vers moi pour me faire partager chaque nouveau mot qu’il apprenait, heureux de savoir l’utiliser dans une phrase. Tous les mots difficiles que je connais me viennent de Jude. Les mots écrits étaient ses meilleurs amis et il mourait d’envie d’apprendre et d’apprendre encore, de rester à l’école et de dévorer tous les mots de tous les livres qui lui tomberaient sous la main.
Mais j’ai perdu mon travail. Et ça a été la fin de ce rêve. Nous n’avions plus les moyens de lui payer ses études.
Je n’ai jamais oublié le visage de Jude quand son père et moi le lui avons annoncé. Je n’ai pas besoin de fermer les paupières pour revoir la tristesse de ses yeux se transformer en dureté, puis en colère froide.
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— Avant de faire la connaissance de Plume Grise, j’avais entendu des histoires à propos des Clans de la forêt mais je n’avais jamais vu de chat sauvage, miaula-t-il comme pour lui-même. Jusqu’au jour où, alors que je m’étais éloigné du jardin de mes maîtres, il m’a sauté dessus… C’était le meilleur des amis.
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Bientôt, j’ai senti le frôlement de ses doigts… Il me touchait en des endroits insoupçonnés, là où jamais personne ne m’avait touchée. Chaque effleurement me laissait les nerfs à vif, aussi crépitants que sous la caresse d’une comète qui se serait posée sur ma peau, la pailletant d’infimes étoiles scintillantes, telle une galaxie qui vient de naître.
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« J’ai trouvé ! » s’exclama-t-elle.
Arquant le cou, elle souffla un long jet de flammes jaune et bleu vers les hauteurs du bâtiment.
« Je connais mon vrai nom ! »
Elle prononça une phrase en ancien langage, et Eragon crut entendre résonner un coup de gong au fond de son esprit. Les écailles de la dragonne s’illuminèrent d’une lumière intérieure et, pendant une brève seconde, elle sembla taillée dans une étoile.
C’était un nom majestueux, non dépourvu d’une certaine tristesse, car il la désignait comme la dernière femelle de son espèce. Il exprimait l’amour et la dévotion qu’elle avait pour Eragon, ainsi que divers traits de sa personnalité. Ses défauts y étaient présents autant que ses qualités. Mais ce qui dominait était une image de feu, de grandeur et de beauté.
Elle s’ébroua, et un frémissement la parcourut du bout du nez jusqu’à l’extrémité de la queue :
« Je sais qui je suis ! »
Glaedr parut impressionné :
« Bravo, Bjartskular ! Voilà un nom dont tu peux être fière. Cependant, évite de le répéter, même pour toi, tant que nous ne serons pas… là où nous devons aller. Maintenant que tu le connais, prends bien soin de le garder secret. »
« Oui, maître », dit-elle en secouant ses ailes.
Eragon remit Brisingr au fourreau et s’approcha de la dragonne. Elle baissa la tête pour se mettre à sa hauteur. Appuyant le front sur son museau, il lui prit les mâchoires entre les mains et serra si fort que les écailles dures lui blessèrent les doigts. Des larmes brûlantes lui roulaient sur les joues.
« Tu pleures ? demanda-t-elle. Pourquoi ? »
« Parce que… j’ai tant de chance d’être lié à toi ! »
« Petit homme. »
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« Si on avait assez de pierres précieuses et si on pouvait y stocker assez d’énergie, vous croyez qu’on volerait jusqu’à la lune ? »
« Qui sait ? répondit Glaedr.
Dans son enfance, le garçon n’avait eu pour univers que Carvahall et la vallée de Palancar. Certes, il entendait parler de l’Empire. Mais ce n’était devenu réalité pour lui que lorsqu’il avait commencé à le parcourir. Plus tard, son image mentale du monde s’était élargie aux dimensions de l’Alagaësia et – confusément – des autres terres mentionnées dans les livres. À présent, il comprenait que ce qui lui paraissait alors si vaste n’était qu’une minuscule partie d’un tout infiniment plus grand. Il était passé en quelques instants du regard de la fourmi à celui de l’aigle.
Car le ciel était concave et la Terre était ronde.
Cela l’obligeait à reconsidérer… tout. La guerre entres les Vardens et l’Empire semblait de peu d’importance comparée à l’étendue de l’univers. Considérés de si haut, les peines et les soucis qui tourmentaient les gens paraissaient bien futiles.
Il confia à Saphira :
« Si tout le monde pouvait voir ce que nous avons vu, peut-être y aurait-il moins de guerres. »
« On ne peut pas demander aux loups de devenir moutons. »
« Non. Mais les loups ne sont pas obligés d’être cruels envers les moutons. »
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Il se fraya un chemin à travers les ramures et déboucha sur la plaine silencieuse. Une colline ronde s’élevait devant lui. Au sommet, telles deux statues antiques, se tenaient Arya et Saphira. Elles étaient tournées vers l’est, où une vague lueur montant dans le ciel teintait d’ambre les herbes de la prairie.
Lorsque la clarté de l’aube illumina les deux silhouettes, Eragon se rappela comment Saphira avait regardé le soleil se lever, perchée sur la colonne de son lit, quelques heures après être sortie de son oeuf. Avec ses yeux perçants étincelant sous l’arcade osseuse, l’arc féroce de son cou, et la souple puissance qui soulignait chaque lignes de son corps, elle lui évoquait un gigantesque épervier ou un faucon. C’était une chasseresse, dans toute la sauvage beauté du mot. Les traits fins d’Arya et sa grâce de panthère s’accordaient parfaitement à la présence de la dragonne, à son côté. Tout, dans leur maintien, les accordait l’une à l’autre tandis qu’elles étaient là, debout, baignées par la lumière du petit matin.
Un frémissement de joie et de respectueuse admiration parcourut le dos d’Eragon. Il avait part à ça, en tant que Dragonnier. Parmi toutes les merveilles de l’Alagaësia, il avait eu la chance d’être associé à ça. Cette pensée lui fit monter les larmes aux yeux ; un sourire exalté illumina son visage ; tous ses doutes, toutes ses peurs se dissolvaient dans une bouffée de pure émotion.
Toujours souriant, il monta sur la colline et vint se placer près de Saphira, pour assister à la naissance du jour.
Arya le regarda. Eragon rencontra ce regard, et son coeur fit une embardée. Il s’empourpra sans savoir pourquoi, prenant conscience d’une soudaine connivence avec elle ; il sut qu’elle le comprenait mieux que quiconque, à l’exception de Saphira. Jamais il n’avait ressenti un tel trouble auparavant ; il en était bouleversé.
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La veille de son départ, Eragon alla dans une petite clairière, d’où il appela le dragon par la pensée. Un instant plus tard, il aperçut une forme se détacher dans le ciel crépusculaire. L’animal piqua vers lui, remonta brusquement, puis, dans un sifflement d’ailes, plongea en vrille et atterrit doucement à sa gauche. Il oscilla avant de trouver son équilibre et de se poser (« swoump », fit-il en s’installant).
Eragon ouvrit son esprit, toujours mal à l’aise avec la sensation qu’il éprouvait dans ces moments-là. Il expliqua au dragon qu’il allait partir. L’animal gronda. Le garçon essaya de le calmer en s’exprimant par images mentales. Mais le dragon agita la queue, agacé. Alors, Eragon posa la main sur son corps et tenta de lui transmettre paix et sérénité.
Les écailles s’inclinèrent sous la caresse. Un mot résonna dans la tête du garçon, clair est grave à la fois : « Eragon. » Le ton était solennel, presque triste, comme si un pacte indestructible venait d’être scellé.
« Eragon… »
L’estomac du garçon se noua tandis que les yeux de saphir d’une profondeur insondable le fixaient intensément. Et Eragon comprit que le dragon n’était pas un animal. C’était quelque chose d’autre. Quelque chose de… différent.
Il courut jusque chez lui en essayant d’échapper au regard du dragon – de son dragon. Son dragon qui l’avait appelé par son nom : Eragon.
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Déçus, Saphira et son Dragonnier quittèrent la clairière alors que le soleil gagnait l’horizon. Ils s’envolèrent vers le centre d’Ellesméra et se posèrent doucement dans la chambre de la maison arboricole que les elfes leur avaient attribuée. C’était un ensemble de pièces aux formes ovoïde, perché au sommet d’un solide pin, à plusieurs centaines de pieds au-dessus du sol.
Dans la salle à manger, un repas de fruits, de légumes, de haricots rouges et de pain attendait Eragon. Après un dîner frugal, il se lova contre Saphira dans le nid doublé de couvertures aménagé pour elle. Il préférait cela à la solitude de son lit. Tandis que la dragonne sombrait dans un profond sommeil, il regarda les étoiles se lever puis s’éteindre dans le ciel que baignait le clair de lune, il pensa à Brom, au mystère qui entourait sa mère. Tard dans la nuit, il glissa dans la transe de ses rêves éveillés et y retrouva ses parents. Leurs voix étaient assourdies, à peine audibles ; faute d’entendre ce qu’ils disaient, il était conscient de leur amour pour lui, de leur fierté. Ce n’étaient là que des ombres nées de son esprit enfiévré, mais le souvenir de leur affection l’accompagnerait à jamais.
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Bonheur.
Gratitude.
Amour.
— Garde-toi, murmura-t-il, et que ta route soit belle.
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— J’ai changé d’avis, lui annonça-t-elle.
— À propos de quoi ?
— J’aime le sable.
Il la contempla un instant en silence. Les traits marqués par la fatigue, la peau brunie par le soleil, elle était belle. Sauvage et belle. Il faillit tendre la main vers elle, puis renonça. Il n’avait pas envie d’être repoussé une deuxième fois. Alors, du bout du doigt, il traça quelques mots sur le flanc de la dune où ils étaient assis.
Crête de sable à perte de vue
Regards entrelacés
Éternité.
Ellana sourit. C’était la première fois que Nillem se hasardait à la poésie marchombre devant elle. Son propre poème jaillit sans qu’elle ait besoin d’y réfléchir.
Sculpture d’ocre dans le désert
Partage épuré
Éphémère.
Comme pour lui donner raison, un souffle de vent chaud balaya à la dune, effaçant les lettres et les mots. Nillem offrit sa main pour l’aider à se lever. Elle la prit et, lorsqu’ils se mirent en marche, elle ne la lâcha pas.
Ils avancèrent en échangeant de rares paroles jusqu’à ce qu’un étrange changement de luminosité les fît s’arrêter et se retourner. Le soleil se couchait avec une majesté presque surnaturelle. Le ciel le ciel se para de couleurs merveilleuses et, pendant quelques minutes, le désert lui-même s’embrasa d’écarlate. Puis la nuit fut là, si soudaine qu’Ellana en sursauta presque.
— Que dirais-tu de continuer à marcher ? proposa Nillem. Nous ne pouvons pas faire de feu et les nuits, ici, sont réputées glaciales. Avec la lune il y a assez de lumière pour que nous puissions avancer et nous nous guideront aux étoiles.
— D’accord, répondit-elle.
Nillem avait dit vrai. Bientôt ils enfilèrent leurs ponchos et, malgré la protection qu’ils leur offraient, ils continuèrent à frissonner. Avec la nuit, le désert avez changé d’apparence, gagnant en mystère ce qu’il perdait en somptuosité. Ellana avait le sentiment de se gorger de beauté. Elle avait lâché la main de Nillem mais le savait proche. Elle ne ressentait toujours pas de fatigue et avait perdu toute notion de la distance parcourue. Elle était profondément heureuse.
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— Je suis marchombre ! hurla-t-il. Je me fiche de tes chaînes et de tes épreuves. Je me fiche de tomber ! Je suis marchombre ! Tu entends, Ellana ? Je suis marchombre !
Comme si les mots avaient drainé sa colère et nettoyé son cœur, il s’apaisa soudain, tandis qu’une certitude se mettait à battre en lui.
Il était marchombre. Libre ou enchaîné.
Parce que la liberté n’avait rien à voir avec un état physique. Parce que la voie vivait en lui. Parce que rien ni personne ne pourrait l’empêcher d’y progresser.
Il leva les yeux vers Ellana.
Elle avait fiché ses griffes dans une plaque de glace, coincé le bout de ses pieds dans une minuscule fissure.
Elle le regardait.
Si présente qu’il faillit s’étouffer dans l’élan de gratitude qui propulsa son âme vers elle. Elle qui l’avait choisi, guidé, éclairé. Elle qui, en l’enchaînant, avait achevé de le transformer en homme libre.
— Je suis marchombre, lui dit-il sans savoir s’il avait vraiment prononcé ces mots.
Je sais, lui répondit-elle en silence.
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— Avec tout le respect que je te dois, mon cher ami, tu es loin de connaître Ellana Caldin à moitié aussi bien que ce que tu crois. Elle fait partie de ces êtres rares dont la flamboyante richesse intérieure est à l’aune du mystère qui les entoure. Immense. Les simples mortels que nous sommes peuvent se réjouir de les côtoyer, jamais se targuer de les comprendre.
Salim poussa un sifflement surpris.
— Euh…Aoro ? Tu es sûr qu’Edwin apprécierait de t’entendre parler ainsi ?
— Parce qu’il devinerait que je suis amoureux de celle qui partage sa vie ? Pourquoi s’offosenrait-il ? Mes sentiments m’appartiennent, Salim. Trop purs et forts pour interférer avec l’amitié qui nous lie, Ellana Caldin et moi. Je dénie à quiconque le droit d’y trouver à redire.
— Mais tu…
— À quiconque, Salim.
Le jeune marchombre approuva d’un hochement de tête. Quelques mois plus tôt, il aurait trouvé ridicule l’idée qu’Aoro, frêle et banal petit homme, soit amoureux d’Ellana.
Ce n’était plus le cas.
Le monde des sentiments était trop complexe pour que lui, qui le découvrait à peine, s’arroge le rôle de donneur de leçons.
Sans compter qu’Aoro était tout sauf banal !
Un nouveau maître-mot se fraya un passage dans son esprit.
Respect.
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Salim exultait. Il découvrait chaque jour davantage le bonheur d’avancer sur la voie du marchombre. Aux maîtres-mots d’ouverture et d’harmonie, Ellana lui avait permis d’ajouter celui de plénitude et il se demandait souvent, avec un frisson de délectation, combien il lui en restait à découvrir.
Elle finit par s’estimer satisfaite et tandis que, pour la quarantième fois, il sortait de la rivière, elle s’avança à son tour au-dessus du vide.
Salim la vit s’élancer, si fine et aérienne que, pendant un instant, il crut qu’elle s’envolait. Pas de fioriture dans son plongeon mais un état de grâce. Bras ouverts, dos cambré, jambes tendues, ses longs cheveux noirs flottant derrière elle, elle fendit l’espace avec l’élégance d’un rêve.
Elle entra dans l’eau sans provoquer la moindre éclaboussure, si ce n’est dans le cœur de Salim.
« Merci, songea-t-il avec ferveur. Merci pour la voie que tu ouvres devant moi. »
