Écoute-nous, Liz Coley
Présentation
Angela a treize ans quand elle disparaît d’un camp de vacances. Lorsqu’elle rentre chez ses parents, trois ans ont passé. Trois années dont elle n’a aucun souvenir. Où était-elle tout ce temps ? Que lui est-il arrivé ? Amnésie rétrograde, choc post-traumatique ou trou noir ? Sans la moindre réponse à ces questions, Angela tente de reprendre une vie normale avec l’aide d’une psychologue. Alors qu’elle cherche à retrouver la mémoire, son comportement devient de plus en plus étrange et incontrôlable. La jeune fille l’ignore, mais ce qu’elle a vécu est encore plus terrifiant que tout ce qu’elle peut imaginer…
17/20
Chronicle
J’avais grave hâte de lire Écoute-nous, ça fait une éternité que je n’ai pas lu de thriller et j’avais envie d’un truc qui me prenne un peu aux tripes pour changer. Bah, c’était pas mal !
Pour commencer, le prologue fait froid dans le dos. C’est d’un réalisme, j’suis sûre que c’est malheureusement déjà arrivé à beaucoup d’enfants et de jeunes femmes. Bon, après, j’tiens quand même à dire que CAMPER DANS LES BOIS, c’est genre un peu le classique des histoires d’horreur. Moi, je n’ai jamais camper et je ne le ferai jamais. Pour avoir une chance sur deux de me retrouver trois jours après dans les faits-divers du journal local ? Non merci, j’ai déjà assez de problèmes comme ça dans ma vie.
Le plus grand mystère qui apparaît tout de suite dans le roman, c’est la voix en italique. Qui est « nous » qui tutoie Angie ? Qui est la narratrice du prologue ? Peut-être que c’était une des filles que l’homme avait déjà kidnappé ? En tout cas, c’était la toute première idée que je m’étais faite de cette voix mystérieuse. Ensuite, j’ai pensé aux troubles mentaux qu’elle aurait éventuellement pu développer et peut-être la schizophrènie. Je suis peu renseignée sur ce types de pathologies.
Puis en avançant dans l’intrigue, on comprend rapidement qu’Angie a un trouble dissociatif de l’identité (TDI). Plusieurs personnalités, appelées des alters, vivent avec Angie dans son corps et :
« Ils forment une barrière protectrice entre toi et les traumatismes. Ainsi, tu n’as plus à t’en souvenir. C’est l’ultime mécanisme mis en œuvre par le cerveau pour survivre. »
En effet, la particularité de cette histoire, c’est qu’Angie revient au monde en étant totalement amnésique. Trou noir qui a duré trois ans. Que s’est-il passé ? Tout l’enjeu du livre est de retracer ce qu’elle a pu vivre. La psychologue, le Dr Grant, va jouer un rôle central dans le rétablissement de la petite chérie. C’est la première fois que je lis quelque chose qui parle de TDI. J’en ai déjà entendu parlé mais de manière pas très sérieuse, quoique, je ne peux pas vraiment en juger mais c’était plutôt du style “j’ai un alter licorne“ ou encore “j’ai un alter racisé“ donc, bon, je ne saurais pas juger de la véracité de ces témoignages. En revanche, ici, j’ai trouvé que le sujet était super bien traité et permettait de comprendre les mécanismes de cette maladie.
En attendant, on essaye de percer les secrets de sa disparition et ça m’a amené à me demander si je n’avais pas déjà vu un film à la télé qu’avait à peu près le même synopsis. On devine assez rapidement les horreurs qui ont pu lui arriver et ce qui est terrible là-dedans, c’est la banalité du crime. Quand une femme (ici une petite adolescente) se fait kidnapper et séquestrer, pas besoin d’être un génie pour imaginer ce qui va lui arriver. C’est vraiment terrifiant. Et je refuse qu’on dise que les pédophiles, les violeurs et les tueurs de femmes sont des déséquilibrés. Ils ont toutes leurs têtes, ils savent très bien à qui s’attaquer.
Le pire pour notre petite Angie, c’est que les abus, elle connaît déjà depuis toute petite. L’oncle Bill… oh purée. Vous pouvez pas savoir la frustration que j’ai ressentie lorsque Angie confronte Bill durant le dîner de Thanksgiving. J’voulais tout casser !!
C’est trop dégueulasse de faire ça à des enfants. Et méfiez-vous. Des oncles, des cousins, des frères qui caressent des petites filles de leurs familles, c’est beaucoup plus répandu qu’on ne le croit. Ce qui m’a frustré est l’injustice de cette scène et l’impuissance d’Angie à s’exprimer. Je suis trop contente de la raclée qu’Angel (question : est-ce que Angel et Ange sont le même alter ? J’dois dire que j’étais assez confuse là-dessus) donne à son oncle, ce sale pédophile. C’est dingue que des parents remarquent pas ce genre de trucs, et alors, on ne peut pas faire plus raté que le père d’Angie, qui paraît plutôt dégouté depuis le retour de sa fille et qui, une fois de plus, est incapable de la protéger. Protéger son enfant est la mission fondamentale d’un parent. Comment peut-on autant échouer ? J’fais un parallèle avec le droit des enfants en France qui ne fait que reculer depuis une vingtaine d’années et c’est d’une tristesse parce que ce livre illustre bien le mépris des adultes pour leur parole et la difficulté à les protéger, eux qui sont si fragiles.
Dans combien d’affaires voit-on des adultes, mêmes des professionnels, qui ne croient pas les enfants ? Heureusement, le Dr Grant croit Angie et convainc ses parents, grâce à son autorité, que leur fille ne ment pas ni ne délire.
Maintenant que j’y pense, ce livre se lit un peu comme un petit rappel d’à quel point les hommes sont si dangereux. Entre le tortionnaire d’Angie qui en fait son esclave pendant trois ans, son père qui est dégouté (d’elle ? de lui-même ?) de revoir sa fille violée et torturée, son oncle incestueux qui l’abuse depuis qu’elle est petite et son vieil ami Greg, opportuniste à souhait, qui veut profiter d’elle dès qu’il la revoit, bon, men are vraiiiiiiimeeent trash.
À un moment, je lis les termes « enfance saccagée » et c’est exactement ça. C’est tellement triste pour Angie qui se traîne une montagne de traumas. Ça fait donc du bien de la voir guérir petit à petit au fil de ses séances avec le Dr Grant, que j’kiffe ! Il faudrait plus de médecins comme elle à l’écoute et empathiques, rien que ça pourraient sauver des vies.
J’aime voir Angie renaître unie. Les trois parties du livres sont vraiment bien faites :« Toi »,« Nous » et enfin « Moi » où elle s’exprime à la première personne, enfin maîtresse de son corps et de son esprit. Si j’avais un seul reproche à faire sur notre héroïne, c’est sa maturité. Elle est trop posée, trop résiliente, trop en paix avec elle-même, choses que j’ai archi appréciées, en fait, mais du coup elle est moins crédible dans son rôle et fait plus âgée qu’elle n’est.
Dans sa guérison, elle est également soutenue par sa vieille amie Kate qui, elle, est une super amie à la différence de Liv et Greg. Par son biais, elle va même rencontrer un mec génial qui n’est autre que musulman. On croise rarement des perso muslims dans ce genre de roman et j’ai toujours une attention particulière vis à vis du traitement qu’on en fait. Ça vaaaa, j’ai rien à signaler. Je les ai trouvé grave cool tous les quatre ensemble (même si je ne préconise pas les relations hors mariage mais c’est qu’un livre, j’vais pas faire la reloue mdr). Ibrahim est adorable avec Angie. J’ai quand même un truc à dire (car oui, on ne change pas les habitudes) : c’est pas parce qu’Ali est un muslim que Kate doit nous foutre un foulard sur sa tête pour le bal du lycée. Si les garçons étaient aussi prudes que ça, ils sortiraient pas avec elles pour commencer.
Pour terminer, je vais parler de la grosse révélation dramatique de la fin :
voir le spoil
Angie est tombée enceinte de son tortionnaire. En réalité, ce n’est pas du tout surprenant. J’disais plus haut qu’on peut facilement deviner les horreurs qu’elle a vécu. Tomber enceinte est une conséquence plus que probable de viols répétés. Je me demandais dès le début si elle l’avait été. En principe, l’examen gynécologique aurait dû le révéler donc ses parents devraient être au courant au moins de ce fait. Pour le reste, c’est à elle de décider et comme elle est mature et pleine de recul, elle fera le meilleur choix pour son bébé.Et voilà pour cette critique. J’ai beaucoup aimé cette lecture et notamment tout le versant sur les TDI. On est content que ça se finisse bien mais j’aurais voulu en apprendre plus
voir le spoil
sur le connard qu’a séquestré Angie et en premier lieu sur sa mort. La crise cardiaque, j’y crois moyen. Angel a forcément dû faire quelque chose.Ah, comme on aimerait avoir un Angel partout avec nous pour nous protéger quand on est une femme. À défaut, promenons-nous avec tout un attirail d’auto-défense et méfions-nous, le monde est trop méchant.
Les extraits que j’ai choisis

Quand elle était partie camper, elle était une enfant normale, une fillette de sitcom ou d’émission tous publics. Aujourd’hui, elle était devenue à son corps défendant la vedette d’un épisode d’une série policière bien trash. On était en train de réécrire le script de sa vie. Sans sa permission.
Que faisait-elle ici ? Que s’était-il passé ? Selon papa et maman, plus d’un millier de jours lui avaient été dérobés. Et en dépit de ce que son calendrier mental lui disait, son corps portait les stigmates du passage du temps et d’expériences cruelles. Ses bras, ses jambes, son visage.
Des larmes salées traçaient des sillons brûlants sur ses joues. Elle les essuya d’un revers de main, puis se releva pour aller s’asperger la figure au lavabo. Elle était encore là, l’inconnue dans la glace. Avec ces yeux qui semblaient infiniment las, pleins d’un savoir qu’ils refusaient de partager. Pleins de regrets, d’inquiétudes.
Elle projeta de l’eau contre son reflet.
— Rends-moi ma vie, sale garce !

Angie se retourna et la serra très fort dans ses bras. Sa mère – une bouée de sauvetage dans un océan démonté. Elle la sentit tressaillir et sangloter.
— Je n’ai jamais perdu espoir… Crois-mois.
Angie inspira contre cette épaule.
— Tu crois que je vais retrouver la mémoire ?
Longtemps, sa mère garda le silence. Angie se recula et capta son expression torturée, la tristesse dans ses yeux, une seconde avant qu’elle se ressaisisse.
Puis elle dit :
— Pendant trois longues années, je n’ai eu qu’une idée : savoir ce qui t’était arrivé. Aujourd’hui… Pour être honnête, je me demande si j’ai envie que tu te souviennes…
Là-dessus, nous sommes d’accord.

J’étais bien consciente que si je disais ce qu’il fallait la nuit, je pourrais améliorer notre situation à nous toutes. Et si je faisais ce qu’il fallait au lit, ce serait encore mieux. C’était mon devoir. Eh bien, cette mijaurée de Scout… je l’ai entendue dire : « Arrête de faire semblant de ne pas aimer ça. T’es qu’une dévergondée. »
Oui. Voilà comment elle m’a traitée, le jour de ma naissance. Elle m’a traitée de dévergondée.
L’ingrate.
Les oreilles d’Angie bourdonnaient. Elle effleura ses cicatrices aux poignets avec étonnement. Elle n’avait aucun souvenir là-dessus, aucun souvenir de douleur, de terreur, de viol. Elle était innocente. Intacte. Un miracle.
— Merci, dit-elle doucement.

Angie, j’étais si fière alors, de toi et de ce que tu avais réalisé. Et tu as enfin compris ce soir-là, tout en massant tes muscles endoloris avec une lotion, assise sur ton lit, que tu avais ouvert toi-même la barrière pour la Rapporteuse, volontairement, la ramenant à l’intérieur. Tu pouvais t’en occuper. Ma mission prenait fin.
À ce moment-là, ton coeur se gonfla, plein de force et de joie. Tu ne me sentis même pas m’en aller, quand je m’évanouis pour me fondre dans l’unité que nous allons former.
