La Confrérie de la Dague Noire, tome 10, J. R. Ward

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Chronicle

Tohr se passa une main tremblante sur le visage, comme s’il essayait d’effacer ses traits. Puis il saisit l’encolure de son propre débardeur, juste au-dessus du cœur.
— Je ne peux pas arrêter… uniquement parce que son corps a cessé de vivre.
— Mais tu te comportes comme si c’était arrivé hier, et je n’ai pas le sentiment que cela va changer.
Lassiter s’approcha du lit sur lequel était étalée la robe d’union. Il empoigna le satin, souleva le vêtement par la jupe et l’agita en l’air.
— Ce n’est pas elle. Ta colère n’est pas elle. Tes rêves, ta saloperie de douleur… rien de tout cela n’est elle. Elle est morte.
— Je le sais, rétorqua Tohr. Crois-tu que je l’ignore ?
Lassiter tendit la robe devant lui, et le satin tomba comme une pluie de sang.
— Alors dis-le !
Silence.
— Dis-le, Tohr. Laisse-moi l’entendre.
— Elle est…
— Dis-le !
— Elle est…
N’entendant rien, il secoua la tête et jeta la robe sur le lit. Grommelant à voix basse, il retourna vers la porte.
— On ne va nulle part. Malheureusement, c’est la même chose pour elle.

— Il faut que je sache une chose, reprit le frère. Toi qui es un ange, crois-tu que certaines personnes soient maudites dès le départ ? Que certaines vies soient condamnées dès l’origine ?
— Je pense que…
Merde, il ne parlait jamais avec tant de profondeur. Cela ne lui ressemblait pas.
— Je… euh, je pense que la vie fonctionne selon un jeu de probabilités réparties entre tous les êtres vivants de cette planète. La chance est injuste par définition, et aléatoire.
— Alors qu’en est-il de ton Créateur ? Ne joue-t-il pas un rôle dans tout cela ?
— « Notre » Créateur, pas seulement le mien, marmonna-t-il. Et je l’ignore. Je n’accorde pas beaucoup d’importance à grand-chose.
— Un ange athée ?
Lassiter eu un petit rire.
— C’est peut-être pour ça que je me retrouve sans arrêt dans le pétrin.
— Nan. C’est en partie parce que tu es vraiment un trou du cul.
Tous deux s’esclaffèrent, puis se rassirent en silence.
— Alors, que faudra-t-il faire ? demanda Tohr. Franchement, qu’est-ce que le destin va exiger de moi à présent ?
— La même chose que pour toute tentative : du sang, de la sueur et des larmes.
— C’est cela, rétorqua sèchement Tohr. Et moi qui croyais que ce serait seulement un bras ou une jambe.
Lassiter ne répondant pas, le frère secoua la tête.
— Ecoute, il faut que tu restes. Tu dois m’aider.
— Ça ne marche pas.
— Je redoublerai d’efforts. S’il te plaît.
Au bout d’une éternité, Lassiter hocha la tête.
— OK. Très bien. Je resterai.
Tohr poussa un long soupir, comme s’il était soulagé, parce qu’il savait qu’il était toujours dans la merde.
— Tu sais, avoua le frère, je ne t’aimais pas quand je t’ai rencontré la première fois. Je croyais que tu étais un crétin.
— C’était réciproque. Mais pas pour la même raison… et ça n’avait rien de personnel. Je n’aime personne et, comme je te l’ai dit, je ne crois vraiment à rien.
— Même si tu restes pour m’aider ?
— Je l’ignore… Je suppose que je veux la même chose que ta shellane. (Il haussa les épaules.) En fin de compte, les vivants et les morts sont tous les mêmes. Chacun ne fait que chercher un foyer. Et puis… je ne sais pas, tu n’es pas si mal.

— L’automne est ma saison préférée, dit-il au bout d’un moment. Non que je me transforme en gonzesse ni en quoi que ce soit… mais j’aime les feuilles quand elles deviennent rouges et orange. Elles sont superbes sous la lune mais, surtout, c’est une transformation incroyable. Le vert du printemps et de l’été n’est que l’ombre de la véritable identité des arbres, et tout cette couleur qui apparaît à mesure que les nuits refroidissent est un miracle sans cesse renouvelé. C’est comme si les feuilles compensaient la perte de la chaleur par leur propre feu. J’aime… l’automne. (Il la regarda dans les yeux.) Tu es pareille. Tu es belle et tu brilles… et il est temps pour toi de sortir de l’ombre. Alors je choisis… Automne.
Dans le silence qui suivit, elle eut conscience du picotement aux coins de ses yeux.
— Quel est le problème ? se dépêcha-t-il de demander. Merde… ça ne te plaît pas ? Je pourrais en choisir un autre. Lihllith ? Pourquoi pas Suhannah ? Que… Joe ? Fred ? Howard ?
Elle posa la main sur son visage.
— Je l’adore. Il est parfait. Je serai désormais connue sous le nom que tu m’as donné, celui de la saison où les feuilles brûlent : Automne.
Se redressant, elle appuya les lèvres sur les siennes.
— Merci. Merci…Comme il hochait la tête d’un air solennel, elle l’entoura de ses bras et le serra contre elle. Être nommée, c’était être revendiquée, et cela lui donnait l’impression… de ressusciter.